Le reniement de Pierre. Robert Leinweber, avant 1921 (Wikimedia).

La mystérieuse naissance d’un monde nouveau

Lorraine CazaLorraine Caza | Dimanche des rameaux et de la passion (B) – 24 mars 2024

Entrée messianique du Seigneur à Jérusalem : Marc 11,1-10
Messe de la Passion : Isaïe 50, 4-7 ; Psaume 21 (22) ; Philippiens 2, 6-11 ; Marc 14, 1 – 15, 47
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le dimanche des Rameaux ouvre la grande semaine, celle que nous appelons la Semaine sainte. Comme nous sommes, en 2024, à l’année B du cycle liturgique, c’est une synthèse impressionnante des événements rappelés au long de cette semaine qui nous sont offerts par l’ensemble des lectures proposées pour la célébration eucharistique de ce jour.

La première lecture est consacrée au troisième des quatre chants du Serviteur souffrant du prophète Isaïe. Vient ensuite une partie du Psaume 22 (21) qui s’ouvre par l’inoubliable cri attribué à Jésus crucifié dans les évangiles de Marc et de Matthieu. En seconde lecture, Paul reprend, de sa Lettre aux Philippiens, la proclamation du Crucifié-Ressuscité qui a circulé aux lendemains de l’événement pascal. L’acclamation évangélique qui suit reprend des lignes émouvantes de ce texte. Et ce sera le récit complet de la passion et de la mort de Jésus en Marc qui sera retenu comme proclamation d’évangile. De cet ample récit de la passion et de la mort de Jésus, certains diront qu’il confère à cet évangile son caractère particulier d’être un récit de la passion et de la mort de Jésus avec une longue introduction.

Les souffrances de Jésus

Le récit est vraiment concentré sur les souffrances de Jésus. Les figures compatissantes s’y font rares. Il y a bien, au début du récit, cette femme anonyme portant son flacon d’albâtre duquel elle répandra sur la tête de Jésus, un parfum abondant de haute qualité. Apparaîtra aussi de façon instantanée un jeune homme dont on dira, d’abord qu’il suit Jésus, mais que la peur amènera bientôt à fuir, nu. Le récit mentionnera les pleurs de Pierre, après son reniement. Sur la route du crucifiement, on identifiera un Simon de Cyrène qui aidera Jésus à porter la croix. Du vin aromatisé de myrrhe sera offert au Crucifié. Des femmes seront une présence sympathique à l’heure de la mort de Jésus. Après sa mort, Joseph d’Arimathie, un membre du Grand Conseil, interviendra pour demander à Pilate le corps de Jésus et pour participer à l’ensevelissement.

À côté de ces rares points lumineux, cependant, l’ensemble du récit accorde une place importante à la présentation émouvante des souffrances de la passion et de la mort de Jésus. Le récit fait grande place à l’annonce par Jésus et de la trahison de Judas et du reniement de Pierre. D’une manière saisissante il met en lumière ces deux événements dramatiques. À l’heure de cette agonie de Jésus vécue dans la plus grande détresse, on a ce mystérieux sommeil des disciples. Puis, il est fait état de l’abandon et de la fuite de tous les disciples. Voilà pour les proches.

L’attitude des autorités religieuses et civiles

Quant aux autorités religieuses, aux autorités civiles et à toute la foule, elles sont présentées comme très hostiles à Jésus. On aura la comparution de Jésus devant le Grand Prêtre Caïphe et les autorités religieuses, les faux témoignages sur Jésus, sa condamnation comme blasphémateur ; on crache sur lui, on couvre son visage d’un voile, on le roue de coups. Traduit devant Pilate sous l’accusation de s’être identifié comme roi des juifs, la foule préfère que soit relâché le prisonnier Barabbas plutôt que Jésus soit libéré. Pilate est présenté comme un lâche, préoccupé surtout de contenter la foule. Jésus est donc livré pour la crucifixion.

Le cri de Jésus

Les versets qui entourent immédiatement le moment de la mort de Jésus (Marc 15,33-39), méritent une attention toute spéciale. On a d’abord la mention des trois heures d’obscurité en plein jour qui semblent bien nous renvoyer à l’époque de Moïse, à l’avant-dernière plaie d’Égypte, celle qui précède l’épreuve suprême de la mort des premiers-nés des Égyptiens tout juste avant la libération du peuple hébreu de l’esclavage. Puis, vient le cri de Jésus, poussé d’une voix forte : Éloi, Éloi, lamma sabactani qui reprend le début du Psaume 22 (21). À noter que la traduction en grec du cri araméen se trouve à accentuer la portée de cette unique parole attribuée à Jésus crucifié dans le récit de Marc. À l’attention donnée au cri, s’ajoute une mauvaise interprétation du cri : au lieu de s’adresser à Dieu, le cri est compris comme un appel au secours lancé au prophète Élie. Est-ce pure coïncidence que l’on retrouve autour de la mort de Jésus des références à l’Exode et au prophète Élie ? Moise et Élie, la loi et les prophètes, n’étaient-ils pas déjà apparus à la Transfiguration de Jésus ? Enfin, le verset 37 évoque une dernière fois le cri au moment de l’expiration de Jésus. Le verset qui suit évoque le déchirement du voile du temple, comme si on voulait nous éveiller au fait que le lieu de la présence agissante de Dieu connaissait une nouveauté incomparable dans ce Crucifié. Que ces versets 33-38 sont riches, au niveau scripturaire ! Moise, Élie, le Temple, sans oublier l’évocation du salut universel que la fin du Psaume 22 nous réserverait ! On est alors bien prêts à recevoir, de la bouche du centurion romain, chef du peloton d’exécution de Jésus, la confession de foi : « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu ».

La victoire de Jésus sur la souffrance et la mort

Les textes de notre liturgie du dimanche des Rameaux, nous venons de le voir, sont d’une éloquence incomparable pour ouvrir notre contemplation sur la passion et sur la mort de Jésus. Écoutons-les maintenant dans leur riche évocation de la victoire de Jésus sur la souffrance et sur la mort.

Le chant du Serviteur souffrant (Is 50) décrit la situation de « l’homme qui se laisse instruire » afin qu’il « sache réconforter celui qui n’en peut plus ». « Il ne s’est pas dérobé à la souffrance ; il a rendu son visage dur comme pierre. Il sait qu’il ne sera pas confondu ». Quand Paul décrit, pour les Philippiens, celui qui était dans la condition divine et qui, pourtant, s’est dépouillé lui-même en prenant la condition de serviteur et en se faisant obéissant jusqu’à la mort sur la croix, il enchaîne en rappelant que « Dieu l’a élevé au-dessus de tout, lui conférant le nom qui surpasse tous les noms… et que toute langue proclame : Jésus Christ est le Seigneur. »

L’évangile que nous méditons en cette liturgie, nous l’avons dit, attribue à Jésus le début du Psaume 22 (21), le cri de détresse extrême par lequel le crucifié évoque son sentiment d’être abandonné de Dieu et de ne pas savoir pourquoi cela lui arrive. Mais le psaume de méditation situé entre les lectures d’Isaïe et de Paul laisse retentir d’autres dimensions de ce poème : oui, bien sûr, les moqueries des ennemis sont nommées, mais aussi la proclamation du priant que Dieu est sa force, qu’il vient à son aide, qu’il répond et conduit le souffrant à confesser Dieu devant ses frères, à le louer en pleine assemblée. Pour moi, reprendre le cri de détresse est indissociable de l’évocation du salut universel qui conclut ce Psaume : 

La terre entière se souviendra
et retournera vers le Seigneur;
toutes les familles des nations
se prosterneront devant lui.
À Yahvé la royauté, au maître des nations !
Devant lui se prosterneront tous les gens de la terre,
devant lui se courberont ceux qui descendent à la poussière.
Et mon âme vivra pour lui ;
ma race le servira ;
on annoncera le Seigneur aux âges à venir ;
sa justice aux peuples à naître.
Telle est son œuvre.

Quand j’entends le centurion romain, un païen, proclamer Vraiment cet homme est fils de Dieu, je reconnais la promesse cachée dans la finale du psaume.

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2839. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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