Jean, le baptiste. Philippe de Champaigne, c. 1656.
Huile sur toile, 131 x 98 cm. Musée de Grenoble.

Congé... de Jésus ?

Alain FaucherAlain Faucher | 3edimanche de l’avent (C) – 15 décembre 2024

Prédication de Jean et annonce du Messie : Luc 3, 10-18
Les lectures : Sophonie 3, 14-18a ; Isaïe 12, 2. 4-6 ; Philippiens 4, 4-7
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

La chose est rare. Elle mérite qu’on la mentionne! En effet, l’Évangile de ce dimanche ne met pas en scène Jésus directement. Jean le Baptiseur parle de lui lorsqu’il décrit son rôle de juge (avec le feu et la pelle à vanner le grain) et de dispensateur de l’Esprit saint. Mais cela arrive en fin d’évangile, si bien qu’on écoute à peine, sonnés que nous sommes par les propos décapants du Baptiste aux gens ordinaires, aux gens associés au régime politique ou aux soldats. Car ils sont vigoureux, les dires de ce Jean. Ils ont réponse à toutes les situations. Comme s’il fallait retourner chaque pierre… pour y trouver matière à meilleur comportement.

L’essentiel du dimanche

En y pensant bien, on admettra que le ton bienveillant de Jean et la vigueur des comportements proposés correspondent bien à l’ambiance des dimanches qui précèdent Noël. Le ton est naturellement un peu austère. Le troisième dimanche de l’Avent introduit une tonalité différente. La joie est au programme des première et deuxième lectures. La couleur liturgique (violacée tirant sur le rose) anticipe les lumières joyeuses de la fête toute proche. Au moins autant que les effets constructifs des suggestions pratiques de Jean Baptiste…

Nous voici devant deux routes possibles. Nous n’hésiterons pas à les amalgamer. Nous nous attardons avec attention au message de joie proposé dans les premières lectures. C’est là que se concentrent dans le texte de Paul les allusions directes à Jésus. Nous prenons aussi au sérieux les invitations à des agirs sobres, invitations véhiculées par les propos johanniques de l’Évangile.

Ainsi se précisent les paramètres de la joie de ce dimanche. Il ne s’agit pas seulement de laisser monter l’excitation et le plaisir de la fête toute proche. Notre joie va au-delà des préparatifs de fête. Ils anticipent le plaisir de donner et de recevoir. Avec la certitude du don de Dieu qui génère la paix et la sérénité. Ces dons méritent d’être connus de tous.

La joie, signe de salut…

Dans le texte prophétique de ce dimanche (Sophonie 3,14-18a), la bonne nouvelle du salut amène une confidence stimulante : le héros, ce porteur de salut, trouve joie et allégresse dans la communauté interlocutrice. Lorsqu’il parle de Dieu au peuple déporté, le prophète Sophonie annonce un intense changement de climat : « Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie... »

Ce prophète a probablement connu la ruine de Jérusalem. Cette immense catastrophe fut causée par les envahisseurs mésopotamiens. La destruction du Temple, la déportation de la famille royale et de la cour, le remplacement des populations : autant d’indices qui jouaient contre le Dieu des Hébreux. Ce peuple avait eu tort de mettre son espérance dans une divinité si faible qu’elle n’a pu empêcher le carnage et la destruction. Toutes les apparences de faiblesse jouent contre Dieu!

Et pourtant, le prophète ne se laisse pas décourager par les apparences. Il perçoit un étonnant retournement, un « jour de Yahweh » où l’univers sera transformé, où le peuple fidèle à Dieu sera remis sur pied, réduit à la forme d’un « peuple petit et pauvre » (3,12). Avec une telle affirmation, totalement à contre-courant de l’ambiance morose du temps, on ne se surprend pas que le nom du prophète en hébreu véhicule le concept de « Yahweh protège »...

La traduction française du texte biblique semble induire une interprétation individualiste. De fait, les expressions « fille de Jérusalem » et « fille de Sion » se réfèrent à des hameaux en périphérie de la ville. Il s’agit d’entités communautaires, non seulement de personnes distinctes. Le message du prophète véhicule ainsi une tonalité collective.

D’ailleurs, la suite du texte confirme cette ampleur requise par l’interprétation. On y évoque les accusateurs, des moqueurs assez acides, l’ennemi voué à rebrousser chemin. Contre lui s’exerce le rôle de protection du réel souverain, le Seigneur.

L’amour transformateur du sauveur le révèle comme le Dieu de la danse, des cris de joie, des jours de fête... On comprend alors pourquoi la liturgie propose comme réponse à ces affirmations le Cantique d’Isaïe (12,2.4b-e.5b-6). Tous les peuples sont visés par l’annonce des exploits du héros divin. Nous sommes déjà dans l’ambiance de la Noël des peuples, l’Épiphanie...

D’inquiétude en joie

Enfin, en ce troisième dimanche de l’Avent, un texte biblique parle explicitement du Christ! En Philippiens 4,4-7, Paul identifie clairement la source de la joie des croyants : le Seigneur est proche. D’où ces manifestations de l’influence divine dans le comportement des fidèles : sérénité, absence d’inquiétude, paix.

Pour des Nord-Américains comme nous, il est difficile d’imaginer le réconfort causé jadis par ces propos. Jaloux de notre autonomie, nous avons mal à imaginer la quête perpétuelle de « protection par autrui » qui motivait les gestes et les paroles des anciens Méditerranéens. L’apôtre révèle qu’en donnant sa paix, Dieu permet à une personne de réorienter ses capacités de réflexion et de décision. Le cœur et l’intelligence se déploient dans un nouvel espace : la relation au Christ Jésus.

« Que devons-nous faire? »

Dans le domaine du sacré, les gens de notre époque veulent du concret! On ne se contente pas d’expériences extatiques du sacré. On désire passer à l’action. Avoir le geste juste semble plus important que prononcer la bonne parole ou avoir la meilleure idée.

Jadis, des gens de l’époque de Jean le Précurseur (littéralement : le Baptiste, le Plongeur) se découvraient un nouveau besoin. Ils voulaient changer leur vie après avoir vécu le rite de passage et de conversion proposé au désert. C’étaient des gens du peuple (les foules), des privilégiés du régime politique qu’étaient les collecteurs d’impôt (petit pourboire au passage!) ou des soldats, collaborateurs tout-puissants des occupants romains. Tous voulaient prolonger dans les faits de la vie courante le baptême de conversion donné par Jean.

Voilà des paroles stimulantes pour un peuple en mal de Messie, cet Autre que Jean saura séparer du mauvais. Il brûlera ce qui ne doit pas subsister. Il recueillera ce qui soutient la vie. Le personnage qui viendra aura droit de jugement sur les mérites des gens. Il décidera qui sera soigneusement engrangé dans les réserves de Dieu, et qui sera laissé de côté comme la paille superflue.

Elle est là en grande partie, la bonne nouvelle de ce jour. Que la perspective du jugement ne nous trouble pas. N’insistons pas sur la paille brûlée, mais surtout sur le grain amassé dans le grenier. La conclusion de l’épisode confirme cette tendance positive : « Par ces exhortations et bien d’autres encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. »

Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.

Source : Le Feuillet biblique, no 2869. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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