La Visitation. Raphaël, 1517. Huile sur toile, 200 x 145 cm. Musée du Prado, Madrid (Wikipédia).

La Visitation de Marie

Lorraine CazaLorraine Caza | 4edimanche de l’avent (C) – 22 décembre 2024

Marie rend visite à Élisabeth : Luc 1, 39-45
Les lectures : Michée 5, 1-4a ; Psaume 79 (80) ; Hébreux 10, 5-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Chaque année liturgique, dans le calendrier de notre Église, s’ouvre par la saison que nous appelons le temps de l’Avent, un terme qui, dans le monde civil, renvoyait à la venue d’une figure royale. Liturgiquement, l’Avent comporte deux phases : du premier dimanche de l’Avent au 16 décembre, l’attention se porte, surtout dans la première semaine, sur la seconde venue du Christ glorieux, à la fin de l’histoire. Du 17 décembre à Noël, c’est à la célébration de la première venue du Fils de Dieu dans notre chair, à Bethléem que nous nous attachons.

Nous ne saurions nous surprendre que les textes évangéliques qui nous sont proposés au 4e dimanche de l’Avent puisent dans les évangiles de l’enfance. Pour l’année B, on retrouvera le récit de l’Annonciation, par l’archange Gabriel, de la conception et de la naissance de Jésus à Marie conservée dans l’évangile de Luc. Pour l’année C dans laquelle nous entrons, ce sont les versets qui suivent immédiatement le récit de l’annonciation, soit la rencontre de Marie avec sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean le Baptiste, que nous sommes invités à approfondir.

La Marie qui part en visite chez Zacharie et Élisabeth, dans les montagnes de Judée, est une femme empressée, étonnée de savoir sa cousine, qui a largement dépassé l’âge de donner la vie, enceinte de Jean. Ce que Luc retient de la rencontre, c’est d’abord la salutation de Marie à sa cousine. La réaction de la cousine à la salutation de Marie, nous dit Luc, prend la forme d’un tressaillement de joie de l’enfant en Élisabeth. Quant à elle, elle est remplie de l’Esprit Saint et prend la parole après avoir lancé un grand cri.

L’intervention d’Élisabeth

 Si, de Marie, l’évangéliste ne mentionne que sa salutation aux gens qu’elle visite, il développe merveilleusement l’intervention d’Élisabeth, en évoquant cinq éléments que nous avons tout intérêt à approfondir.

Éléments 1 et 2. S’adressant à Marie, Élisabeth lui dit qu’elle est bénie entre toutes les femmes et que l’enfant qu’elle porte est lui aussi béni. Ces deux premiers éléments ne nous ramènent-ils pas aux paroles de Gabriel dans l’annonce à Nazareth? Il y aurait donc une correspondance entre le message céleste et celui de la cousine aînée.

Élément 3. Élisabeth se dit dépassée par le fait que la mère du sauveur vienne jusqu’à elle. Merveilleuse confession par la cousine de l’identité de l’enfant que Marie porte en elle. De toute évidence, l’Esprit saint est à l’œuvre en elle.

Élément 4. Le quatrième élément signalé par Élisabeth, c’est le tressaillement de joie que la salutation de Marie provoque chez Jean dans le sein d’Élisabeth. Tout à fait merveilleuse cette action entre les enfants dans le sein de leurs mères. Comme pour souligner que la mission de Jésus débute avant sa naissance et que le rôle de précurseur de Jean s’ouvre alors qu’il se trouve encore dans le sein d’Élisabeth.

Élément 5. L’intervention d’Élisabeth culmine avec la proclamation de la foi de Marie. C’est sa foi en l’annonce du messager céleste qui fait sa béatitude.

Au long des siècles il s’est trouvé bien des croyants à contempler ce moment déjà missionnaire de l’évangile de l’enfance de Luc. Permettons-nous d’évoquer deux témoignages éminents : celui du Cardinal Pierre de Bérulle, au XVIIe siècle, et celui du martyr contemporain, Christian de Chergé, moine trappiste de Tibhirine en Algérie.

La Visitation pour Bérulle

Au cœur des Œuvres de piété, dans son traité Mystères de Marie (Grasset, 1961), Bérulle écrit : 

« Que de grands il y avait alors en la terre, que de savants et ils sont en l’oubli du Fils de Dieu fait homme, visitant non Auguste triomphant alors à Rome, mais un enfant caché dans les entrailles de sa mère, en une bourgade de Judée. C’est le seul ouvrage et la seule visite qu’il fait en la terre par l’espace de neuf mois qu’Il est résidant en sa Très Sainte Mère. Nous trouverons en peu de temps Jésus avec la Vierge, avec les pasteurs et les mages à Bethléem ; mais ce qui est plus doux, plus intime, plus délicieux, nous avons ici Jésus en la Vierge. Durant neuf mois, nous ne l’aurons qu’en la Vierge, et c’est ici le seul ouvrage de Jésus existant en sa Mère : ce qui mérite une attention, une considération et une vénération plus grandes.

Que de savants il y a alors sur la terre et que de beaux esprits qui recherchent les secrets de la nature ; mais ils ignorent les secrets de Dieu. Ils n’y pensent pas. Ici se manifestent les secrets de Dieu même, ses plus hauts secrets, les plus nécessaires à l’univers. Ici se répand la lumière du ciel. En deux paroles, les deux plus grandes merveilles que Dieu a faites et fera jamais, sont enseignées au monde et enseignées par une femme et par un enfant. C’est ici la plus célèbre académie de l’univers où on apprend ce que le monde ignore et ignorera encore fort longtemps ; et l’on apprend en deux paroles, car la Parole de Dieu même est abrégée en ces deux merveilles : où Dieu est fait homme et une Vierge faite Mère de Dieu.…

C’est à un enfant que ces deux merveilles sont premièrement révélées. Ce n’est pas aux grands et aux savants de la terre ; ce n’est pas même à saint Joseph, un des plus saints de l’univers… Ce privilège est réservé à un enfant… Ainsi, Dieu-Enfant est reconnu et manifesté non par un ange, mais par un enfant ; ainsi son premier prophète est un enfant, comme tantôt ses premiers martyrs seront des enfants. »

La Visitation pour Christian de Chergé

Le 21 novembre 1990, dans une retraite qu’il prêche au Maroc, Christian de Chergé médite sur la Visitation de Luc :

« J’imagine bien que nous sommes dans cette situation de Marie qui va visiter sa cousine Élisabeth et qui porte en elle un secret vivant, qui est encore celui que nous pouvons porter nous-mêmes, une Bonne Nouvelle vivante. Elle l’a reçue d’un ange. C’est son secret et c’est aussi le secret de Dieu. Et elle ne doit pas savoir comment s’y prendre pour livrer ce secret. Va-t-elle dire quelque chose à Élisabeth? Peut-elle le dire? Comment le dire? Comment s’y prendre? Faut-il le cacher? Et pourtant tout en elle déborde, mais elle ne sait pas. D’abord, c’est le secret de Dieu. Et puis il se passe quelque chose de semblable dans le sein d’Élisabeth. Elle aussi porte un enfant. Et ce que Marie ne sait pas trop, c’est le lien, le rapport entre cet enfant qu’elle porte et l’enfant qu’Élisabeth porte. Et cela lui serait plus facile de s’exprimer si elle savait ce lien. Mais, sur ce point précis, elle n’a pas eu de révélation, sur la dépendance mutuelle entre les deux enfants… Elle sait simplement qu’il y a un lien, puisque c’est le signe qui lui a été donné : sa cousine Élisabeth. Il en est ainsi de notre Église, qui porte en elle une Bonne Nouvelle – et notre Église, c’est chacun de nous – et nous sommes venus un peu comme Marie, d’abord pour rendre service (finalement, c’est sa première ambition)… mais aussi en portant cette Bonne Nouvelle, comment nous allons nous y prendre pour la dire… Nous savons que ceux que nous sommes venus rencontrer sont un peu comme Élisabeth, porteurs d’un message qui vient de Dieu. Notre Église ne nous dit pas et ne sait pas quel est le lien exact entre la Bonne Nouvelle que nous portons et ce message qui fait vivre l’autre… »

Michée et la lettre aux Hébreux

N’oublions pas que cette liturgie propose d’abord deux lectures qui renvoient discrètement à l’identité de l’enfant que Marie porte. En effet, Michée, un prophète du 8e siècle avant Jésus-Christ, avec sa référence à Bethléem-Ephrata comme lieu de naissance de Celui qui doit régner sur Israël, n’annonce-t-il pas Jésus? Et quand le prophète réfère au temps où aura enfanté celle qui doit enfanter, aurions-nous un écho à la prophétie messianique d’Isaïe 7,14?

L’auteur de la Lettre aux Hébreux, lui, en plaçant sur les lèvres du Christ à son entrée dans le monde une proclamation du choix de faire la volonté de Dieu, abroge le régime de la Loi avec tous ses sacrifices et ouvre un régime nouveau où tout se résume dans le choix de la conformité à la volonté du Père.

Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).

Source : Le Feuillet biblique, no 2870. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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