
La transfiguration. Francesco Zuccarelli, 1788.
Huile sur toile, 64 x 76 cm.
Musée d’art Lempertz, Berlin (Wikimedia).
« Écoutez-le »
Lorraine Caza | 2e dimanche du Carême (C) – 16 mars 2025
La Transfiguration de Jésus : Luc 9, 28b-36
Les lectures : Genèse 15, 5-12.17-18 ; Psaume 26 (27) ; Philippiens 3, 17 - 4, 1
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Chaque année nous sommes invités à vivre le dimanche qui suit le récit des tentations de Jésus au désert dans la lumière de la Transfiguration de Jésus : quel contraste saisissant ! Pourquoi anticiper si rapidement le mystère de la victoire du Crucifié du Golgotha sur la mort ? L’Église semble fort empressée à placer la figure du Jésus glorieux tôt dans le temps de pénitence, d’appel à la conversion qu’est le Carême. C’est que la victoire de la vie sur la mort est centrale pour notre foi.
Le récit de l’évangéliste Luc est proposé à notre contemplation en cette année C. Comme chez Marc et Matthieu, cette scène de glorification de Jésus est située entre la première et la seconde annonce de la Passion et immédiatement après que Jésus a énoncé les conditions à honorer si l’on veut être de ses disciples. Puis, il y a ce mystérieux verset unique qui introduit la Transfiguration : « Je vous le dis vraiment, il en est de présents ici même qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu. » (Lc 9,22)
L’Évangile de la prière
Pour Luc, c’est huit jours après cet enseignement de Jésus que ce dernier gravit la montagne avec Pierre, Jean et Jacques avec l’intention de prier. Que cette montée soit motivée par la volonté de prier est particulière à cet évangile. Ce n’est pas étonnant que l’on considère l’évangile lucanien comme évangile de la prière. On se rappellera que c’est aussi Luc qui précisera, dans sa présentation du baptême de Jésus par Jean le Baptiste, que le sauveur était alors en prière (Lc 3,21-22). La dimension du dialogue de Jésus avec son Père est vraiment caractéristique de Luc.
Au cœur de cette prière, le visage de Jésus devient autre, nous dit Luc, et son vêtement apparaît d’une blancheur fulgurante. Marc insiste sur cette blancheur des vêtements : Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une telle blancheur qu’aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte. Matthieu, lui, voit le visage de Jésus resplendissant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière.
Face à cet événement, Luc sera le seul à préciser que Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; puis, bien qu’étant réveillés, ils ont vu sa gloire et Moïse et Élie qui se tenaient avec Lui.
Les trois Synoptiques évoquent l’intervention de Pierre. Luc lui prête les paroles suivantes : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moise et une pour Élie » et il ajoute que Pierre ne savait pas ce qu’Il disait. Au « Rabbi. Il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, » Marc, lui, ajoute : Il ne savait pas répondre, car ils étaient saisis de frayeur. Matthieu dira délicatement : « Si tu le veux, je vais faire ici trois tentes … ». Fort intéressante cette variété d’interprétation de la présence et du dialogue de Jésus avec Moïse et Élie. Luc explique que Pierre ne sait pas ce qu’il dit. Pour Marc, Pierre ne sait pas répondre parce que lui et ses compagnons sont saisis de frayeur. Matthieu introduit un élément de délicatesse : « si tu le veux » à la suggestion des trois tentes.
De la nuée, une voix…
Les trois synoptiques évoqueront ensuite la nuée. Luc soulignera ici le sentiment de peur : Survint une nuée qui les prenait sous son ombre et ils furent saisis de peur en entrant dans la nuée. En Marc, la nuée est évoquée très succinctement. Quant à Matthieu, il la qualifie de lumineuse. Vraiment, c’est tout ce récit qui alterne en évocations de lumière et de ténèbres.
Écouter Jésus
De cette nuée retentit une voix. En Luc, cette voix identifiera Jésus comme Fils du Père et comme l’Élu qu’il faut écouter. Matthieu parlera du Fils bien-aimé, qu’on écoutera parce qu’Il a toute la faveur du Père. Marc fait sienne l’appellation de Fils bien-aimé avec cette même consigne de l’écouter. Est-ce sur cette consigne d’écouter Jésus, le Fils, que nous pourrions concentrer notre méditation en cette année sainte où l’Église nous veut pèlerins de l’espérance ? Comment, en effet, devenir de plus en plus des personnes d’espérance si on n’apprend pas à écouter l’Envoyé par excellence du Père, à écouter les personnes et autres réalités qui élargissent notre conception de tout ce qui est ?
Prenons enfin le temps de noter comment se termine le récit de la Transfiguration ? En Luc, lorsque la voix venant de la nuée retentit, on retrouve Jésus seul. Quant aux disciples, ils gardent le silence, ils ne rapportent rien à personne, ce jour-là, de ce qu’ils ont vu. Au dire de Marc, les disciples regardent autour d’eux et ne voient plus personne sauf Jésus seul avec eux. Quant à Matthieu, il raconte que les disciples tombent sur leurs faces, tout effrayés. Jésus, ajoute-t-il, s’approche, les touche, et leur dit : relevez-vous et n’ayez pas peur. Les disciples levant alors les yeux ne voient plus que Jésus, seul. Les trois évangélistes sont bien fidèles à nous replacer devant une scène où Jésus seul retient ultimement l’attention.
Chacun à sa manière, les trois Synoptiques ont évoqué une expérience de peur. Chacun a présenté la voix dans la nuée appelant à écouter le Fils transfiguré. Chacun nous a laissés avec l’image de Jésus, seul. Pour nous, les pèlerins de l’espérance de 2025, le Jésus de la Transfiguration est-il annonciateur de confiance dans nos frayeurs ? Nous engage-t-il dans une écoute constante de sa parole ? Est-il présence qui peut, à elle seule, assurer notre bonheur ?
Avant de nous offrir en nourriture un récit du merveilleux événement de la Transfiguration, anticipant cette gloire du Christ par-delà son départ qui allait se réaliser à Jérusalem, la liturgie de ce dimanche nous convoque à l’écoute du récit de l’alliance du Seigneur avec Abraham. Il y est question d’une fécondité incroyable, d’un pays et d’une descendance aussi incalculable que le nombre des étoiles au firmament. « Je suis le Seigneur qui t’est fait sortir d’Our en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays. » (Genèse 15,7) Et au patriarche qui demande un signe qu’il aura vraiment accès à un tel avenir, le brasier fumant et la torche enflammée qui passent entre les quartiers d’animaux assurent Abraham de la fidélité de Dieu à sa promesse d’alliance.
Cette fidélité indéfectible de Dieu, Paul la proclamera à la communauté des Philippiens : Nous, comme citoyens des cieux, nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer (Ph 3,21). Encore, cette rencontre Mort-Vie.
Lors de la Transfiguration, cette même fidélité de Dieu, s’exprime à Pierre, Jean et Jacques, dans cette voix de la nuée qui reconnaît Jésus comme l’Élu, le Fils bien-aimé du Père, qu’il est indispensable d’écouter, le seul qui est toujours présent, qui nous permet de vaincre toutes nos frayeurs, plus encore que Moïse et Élie, ces deux grands témoins du Sinaï.
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
Source : Le Feuillet biblique, no 2882. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.
