
Le retour du fils prodigue. Pompeo Batoni, 1773. Huile sur toile, 138 x 100,5 cm.
Musée d’histoire de l’art de Vienne (Wikipédia).
Une leçon adressée aux bien-pensants
Odette Mainville | 4e dimanche du Carême (C) – 30 mars 2025
La parabole du fils retrouvé : Luc 15, 1-3.11-32
Les lectures : Josué 5, 10-12 ; Psaume 33 (34) ; 2 Corinthiens 5, 17-21
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
L’attitude de Jésus envers les gens déjà étiquetés comme pécheurs attise les jugements moralisateurs des bien-pensants. Ces personnes qui, justement, se considèrent fidèles observateurs de la morale ne comprennent pas que Jésus puisse accueillir ces gens, fréquenter leurs demeures, manger avec eux.
Ce texte de l’Évangile de Luc invite donc à clarifier les données suivantes : 1) Qui sont ces bien-pensants ? 2) En quoi l’attitude du fils ainé dans la cette parabole de l’enfant prodigue est-elle répréhensible ? 3) Pourquoi Jésus se permet-il de fréquenter ces gens dont la conduite enfreint les normes de la morale ?
Les bien-pensants
On peut d’emblée classer dans la catégorie des bien-pensants ceux qui se targuent d’être justes en raison d’une observance stricte des lois et de la morale et qui se permettent de juger et de mépriser ceux qui ne respectent pas intégralement les mêmes exigences. Dans l’entourage de Jésus, on reconnait alors les pharisiens et les scribes, qui lui reprochent de faire bon accueil aux pécheurs et de manger avec eux. Mais qui sont plus spécifiquement ceux que l’on classe dans ces deux catégories ?
Considérons d’abord le cas des pharisiens. Il serait prématuré, voire exagéré de les étiqueter de mauvaises gens sans même se questionner sur les attitudes et les intentions qui les distinguent au sein du peuple juif. En fait, ils font partie d’une famille de gens reconnus pour leur attachement au code de la Loi, pour leur interprétation stricte de chacun de ses articles, dans le but d’y ajuster leur conduite de façon rigoureuse. Ils prétendaient donc se démarquer par la sainteté de leur vie, laquelle se manifestait plus particulièrement par une observance extérieure des règles religieuses ou morales, cela trop souvent au détriment de l’esprit qui sous-tend ces règles.
Quant aux scribes, on peut les désigner comme juristes. Ceux-ci se consacraient principalement à l’interprétation des Écritures, en particulier celles concernant la Loi de Moïse, en vue d’élaborer les règles de conduite susceptibles de guider le comportement moral des membres du peuple juif. La majorité des scribes faisaient partie du groupe pharisien. Mais leur influence auprès du peuple était d’autant plus importante que la plupart d’entre eux étaient membres du Sanhédrin, soit de l’Assemblée législative d’Israël et du tribunal suprême siégeant à Jérusalem.
Jésus dénonce donc l’attitude orgueilleuse des scribes et des pharisiens, une attitude écrasante à l’endroit des gens ordinaires, laquelle pouvait alors s’avérer destructrice de leur estime personnelle.
L’attitude du fils ainé
On comprend aisément qu’en décrivant le comportement du fils ainé de la parabole, l’évangéliste Luc a voulu illustrer cette prétention pharisienne, celle d’être fidèle observateur de la Loi.
On notera en ce sens un détail très significatif quant à la façon dont ce fils ainé fait référence à son frère lorsqu’ il s’adresse à son père. Il évite, en effet, de l’identifier comme son frère, se référant plutôt à lui en le nommant « ton fils ». Attitude très évocatrice de celle des pharisiens à l’égard de ceux étiquetés de pécheurs. Ces derniers avaient beau être également membres du peuple juif, les pharisiens ne les considéraient plus comme des frères. On constate alors que le père cherche à rectifier cette appellation méprisante de l’ainé quand il rétorque en ces termes : « ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ». Un détail qui peut sembler banal et qui risque d’échapper au lecteur, pourtant si important pour une saine compréhension de la relation qui doit avoir préséance dans les rapports entre les êtres humains. S’il est permis et même nécessaire d’identifier les comportements et les actions d’autrui comme étant bons ou mauvais, comme étant générateurs de vie ou destructeurs, il n’appartient pour autant à personne de porter des jugements moraux envers ceux qui les commettent.
On comprend donc que le jugement du fils ainé à l’égard de son frère, lui qui se fait fort de n’avoir jamais transgressé les ordres de son père, se veut une illustration de l’attitude pharisienne envers les pécheurs et par la même occasion, un jugement à l’endroit de Jésus qui les accueille.
L’accueil de Jésus à l’endroit des pécheurs
La première partie de l’extrait de l’Évangile de Luc introduit le lecteur au cœur de l’enseignement visé par l’auteur : Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Une introduction qui en dit long quant à l’attitude de Jésus envers les êtres humains, quels qu’ils soient. Pourquoi même les gens de mauvaise vie se sentent-ils effectivement attirés par lui ?
Mais d’abord, il convient de préciser qui sont les publicains afin de justifier pourquoi ils sont associés aux pécheurs. Rappelons simplement que les publicains sont aussi des Juifs de race pure qui, cependant, collaboraient avec l’occupant romain, à l’époque, envahisseur de la Palestine depuis environ cent ans. Les Romains, considérés comme païens — car toute personne n’étant pas membre du peuple juif était considérée comme païenne par les Juifs — sont par le fait même, honnis des Juifs. Or, le travail des publicains consistait précisément à collecter les impôts auprès de leurs compatriotes juifs en faveur des Romains, tout en profitant souvent de leur tâche pour s’enrichir aux dépens de leurs compatriotes.
Le fait que Jésus accueille les publicains et les pécheurs consiste-t-il pour autant en une approbation de leur conduite ? Certes non ! Jésus ne cautionne pas leur comportement, mais il sait pertinemment que les mépriser et les rejeter ne risquerait qu’à les endurcir dans le mal et réduirait, par la même occasion, la possibilité de les ramener dans le droit chemin. Jésus sait pertinemment que la façon la plus efficace de toucher leur cœur est d’abord de les accueillir et de leur manifester de la bonté. En effet, tout comme l’hostilité et le mépris à leur égard ne peuvent qu’attiser le mal qui les habite déjà, l’accueil et l’amour sont susceptibles de secouer cette forteresse de la haine et du mal. La bonté de Jésus à leur égard ne pourra que les surprendre, toucher leur cœur et contribuer possiblement à enclencher une sorte d’examen de conscience susceptible de les ramener dans le droit chemin, alors que son rejet ne risquerait effectivement qu’à les endurcir dans le mal.
Conclusion
La joie du père et son accueil inconditionnel du fils repentant, n’exigeant rien de lui, symbolisent le pardon du Père éternel à l’égard de tout pécheur repentant. Inversement, l’attitude du fils ainé symbolise celle dénoncée par Jésus, en l’occurrence, celle des scribes et des pharisiens qui se glorifient de leur comportement conforme aux règles de la justice. Cette parabole est centrée sur l’amour du Père incarné par Jésus, un amour à l’endroit de tous les humains, qu’ils évoluent dans le mal ou le droit chemin ; ce dont Jésus témoigne par son mode de vie quotidienne et dans son enseignement.
On ne saurait cependant lire cette parabole du fils prodigue sans s’adonner à un examen de conscience personnel, sans prendre le temps de réfléchir sur les jugements que l’on est susceptible de porter à l’endroit de ceux que l’on pourrait considérer comme pécheurs. Il importe alors de réfléchir sur l’attitude de Jésus à leur égard, afin de chercher à toujours y modeler notre conduite. Une discipline de vie qui, en soi, se fait prière au quotidien. Une prière qui dépasse les mots pour devenir un mode existentiel qui, non seulement génère la croissance personnelle, mais qui projette également dans l’entourage le message d’amour enseigné par Jésus lui-même.
Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
Source : Le Feuillet biblique, no 2884. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.
