
La femme adultère. Émile Signol, 1840. Huile sur toile, 139 x 169 cm.
Musée du Louvre, Paris (Wikimedia).
Un silence éloquent, une espérance transformatrice
Alain Faucher | 5e dimanche du Carême (C) – 6 avril 2025
La femme adultère : Jean 8, 1-11
Les lectures : Isaïe 43, 16-21 ; Psaume 125 (126) ; Philippiens 3, 8-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Un enseignant, déjà plongé dans le feu de l’action au petit matin dans le Temple. Une femme surprise en pleine transgression. Des fidèles de la Torah, scribes et pharisiens, invitent Jésus à émettre un jugement. Gros piège : qu’il soit pour ou contre, Jésus sera sujet à leurs dénonciations. Mais voilà que l’enseignement quasi silencieux fait disparaître les accusateurs de la dame. Quelques traits dans la poussière du sol à la manière de Jérémie 17,13 font une bonne partie du travail : Oui, ceux qui se tiennent éloignés de moi seront inscrits sur la poussière, car ils ont abandonné la source d’eaux vives : l’Éternel. Ne reste que l’accusée avec Jésus. Jésus constate le péché. Il réintègre la dame en voie d’exclusion. Il reconstruit une vie qui était sur le point de s’effondrer. Une interaction discrète, sans témoin. Mais son récit est transposable dans notre vie...
Nous n’avons rien à nous reprocher? Nous avons raison de nous raconter la rencontre de Jésus avec la femme accusée. Nous pouvons tirer profit de l’élan que Jésus insuffle dans une vie humaine avec ses propos d’espérance et d’inclusion. Cela fait partie de la Bonne Nouvelle du Carême proposée au monde d’aujourd’hui, un monde en mal de réconfort et d’espérance. Car innombrables sont les situations bloquées qui pourraient être transformées par ce regard généreux de Jésus. Son attitude bienveillante est chargée d’espérance. Jésus nous fait participer au salut de l’univers. Un salut enrobé dans une discrétion… remarquable.
Voici un beau dimanche de Carême pour nous demander, chacun, chacune pour soi : dans quel repli de ma vie s’enracinent les interventions de Jésus. Où, quand, pour qui, pour quoi s’est-il manifesté en intervenant libérateur, en enseignant brillant de la miséricorde divine ? Dans notre entourage, en faveur de qui a-t-il retourné une situation ? Avec qui a-t-il réinventé la manière de lire les événements ? Quand a-t-il recréé du potentiel positif dans une situation en apparence bloquée ?
Une telle intervention de Jésus est une bénédiction sur les routes de notre itinéraire de foi. Je n’hésite plus à qualifier de petits miracles ces moments bouleversants où notre attention pour les faits et dires de Jésus s’entrechoque avec des situations déprimantes, anxiogènes… Des situations où la joie renaît, où l’horizon s’élargit soudain…
Isaïe 43, 16-21
Ce texte bien martelé du grand prophète est écrit dans un style proprement biblique. Les phrases sont bien balancées, construites en parallèles. Le texte évoque la puissante action de Dieu contre les ennemis de son peuple et les transformations de la nature au service de sa gloire. Du désert jaillissent des sources de vie. Des fleuves coulent dans des lieux arides.
Cette imagerie est au service de l’avenir avec force nouveautés. Le passé a beau avoir été éblouissant, voici en avant du meilleur ! C’est Dieu lui-même qui est l’agent de ces transformations : « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas? »
Cette rhétorique puissante fournit une grille de lecture utile pour saisir des enjeux de l’Évangile du jour. Jésus, nouveau maître enseigneur de la Torah, intervient pour créer du neuf dans des vies en apparence bloquées à tout jamais. Ce qui est éternel en fait, c’est l’impulsion nouvelle provoquée par Jésus au nom de Dieu. L’épisode de la femme accusée d’adultère est éloquent : des fleuves coulent dans les lieux arides.
Psaume 125
Rires, fêtes et joie accompagnent le retour des exilés à Jérusalem. Ce n’est pas seulement de l’entrain : c’est surtout une puissance divine à l’œuvre pour causer l’impossible, le passage de la sécheresse au coup d’eau.
On comprend alors que la formulation du psaume n’est pas banale. Ainsi, ramener les captifs comme torrents au désert est une expression qui traduit une puissante expérience, celle de ces cours d’eaux instantanés qui s’écoulent soudain sans crier gare en plein désert. Ces forces de la nature sont dangereuses et irrésistibles ! Donc, regardez bien ce que vont réussir les exilés à leur retour en Terre promise…
Philippiens 3, 8-14
Saint Paul compare la vie chrétienne à une activité sportive. Sa course à la perfection n’est pas centrée sur la performance individuelle. Elle passe plutôt par les détours de l’adhésion à la Passion de Jésus. Il s’agit de mettre les choses à la bonne place. On peut alors profiter de ce bien qui dépasse tout, la connaissance du Christ Jésus.
Plusieurs éléments de cet extrait d’une lettre de Paul s’arriment bien avec l’aventure relatée dans l’Évangile du jour. Par exemple, Paul opère un recentrement de la justice venant de la loi de Moïse vers la justice venant de Dieu et centrée sur la foi. Cette justice renouvelée vient de la foi au Christ, un peu comme le manifeste l’interaction de Jésus avec la femme accusée au Temple.
Autre élément de recentrement de la foi : Paul fournit un mode d’emploi de la relation durable avec Jésus. En cinq points, c’est comme si on devinait la suite des aventures de la dame libérée par Jésus : Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts.
Ainsi, l’espérance qui pouvait renaître dans le cœur de la dame traînée au tribunal de la Torah appartient désormais à ceux et celles qui intègrent et dépassent la première Loi. À nous de profiter de l’occasion pour laisser se déployer dans nos vies l’espérance suscitée par la largeur de vue de Jésus.
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2885. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.
