Mosaïques de l’abside de la basilique du Latran (Wikipédia).

Une maison de guérison

Rodolfo Felices LunaRodolfo Felices Luna | Dédicace de la basilique du Latran (C) – 9 novembre 2025

La purification du Temple : Jean 2, 13-22
Les lectures : Ézékiel 47, 1-2.8-9.12 ; Psaume 45 (46) ; 1 Corinthiens 3, 9b-11.16-17
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Il peut paraître curieux de fêter la dédicace d’une église, mais ce n’est pas n’importe laquelle… la basilique du Latran à Rome est le plus vieil édifice au monde (rebâti, rénové) qui soit officiellement dédié au culte chrétien. À l’origine, il appartenait à une illustre famille romaine, les Laterani, d’où le nom. Devenu propriété de l’empereur Constantin, celui-ci l’offrit au pape Miltiades en 313, au moment où le christianisme passait de la clandestinité et la persécution au droit de cité, sous l’édit de Milan.

Le nom « basilique » vient du grec basileus (roi, empereur) et désigne un palais royal. Ce palais du Latran devint et demeure le siège de l’évêque de Rome. À l’heure où de nombreux temples sont vendus et transformés pour usage séculier, il convient de célébrer que le chemin inverse a déjà été parcouru par des générations bien avant nous : du séculier vers le sacré. Le palais royal – lieu d’intrigues de pouvoir – devint un jour maison de prière.

Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai.

Les mots de Jésus (Jean 2,10) peuvent résonner comme de la provocation ou de la prophétie, selon les oreilles qui l’entendent. Pour les juifs de l’évangile, c’était une bravade insensée : qui pourrait rebâtir en trois jours ce qui avait pris quarante-six ans à bâtir? Pour les disciples non plus cela n’avait aucun sens… jusqu’au matin de Pâques. Le souvenir confus a pris du temps à prendre tout son sens. L’épisode a dû en fait être plus ou moins traumatique pour bien des gens, pensons-y un peu.

Les marchands avaient droit d’y être et ils rendaient un fier service aux pèlerins de partout qui voulaient présenter une offrande à Dieu. Les changeurs jouaient un rôle nécessaire, car la monnaie étrangère – voire impie – devait être échangée pour servir au culte du Saint d’Israël. Les uns et les autres doivent avoir eu la fâcheuse surprise de leur vie à voir un « dérangé » renverser leurs tables, répandre à terre leur monnaie, bousculer et chasser à l’aide d’un fouet leurs animaux… Jésus ne devait pas avoir l’air d’un « doux agneau » en faisant cela. Confusion, peur, indignation et colère doivent s’être répandues sur les gens assez rapidement.

Lorsque la poussière retombe et que les esprits se calment, la question des juifs de l’évangile est étonnamment polie : Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là? Sans doute ce ne furent pas les mêmes mots sur toutes les lèvres parmi les présents, mais saint Jean choisit de concentrer la discussion sur la signification de pareil geste. Les prophètes étaient reconnus pour leurs signes extravagants : Isaïe donne un nom affreux à son enfant (Isaïe 8,1-4), Jérémie se promène partout en ville avec un joug (Jérémie 27-28), Ézékiel ne porte pas le deuil de son épouse (Ézékiel 24,15-27). Il fallait donc faire la lumière sur le pourquoi de cette violence faite au bon cours des affaires du temple.

Jésus avait déjà offert des explications en disant Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic (Jean 2,16). L’espérance du prophète Zacharie était qu’un jour tout serait consacré à Dieu et donc qu’il n’y aurait plus besoin de commerce en vue du culte (Zacharie 14,20-21). Jésus ajoute maintenant qu’un nouveau temple sera bâti en trois jours seulement, après la destruction du temple actuel (Jean 2,19). Après Pâques, les disciples voient dans le corps de leur Seigneur ressuscité le nouveau temple où elles et ils peuvent prier Dieu (Jean 2,21-22). Jésus n’avait-il pas dit à la femme de Samarie qu’un jour ce ne serait plus à Jérusalem ou sur une autre montagne en particulier qu’on offrirait le culte en esprit et en vérité? (Jean 4,21-24). Renouveler le culte de façon aussi radicale que de ne plus avoir besoin d’emplacement, de bâtiment ni de commerce, cela peut paraître utopique, venu d’un autre monde, comme Jésus.

Vous êtes la maison que Dieu construit.

Saint Paul rappelle aux chrétiennes et chrétiens de Corinthe qu’ils sont – chacune, chacun dans son corps, puis ensemble comme Église – le corps du Christ ressuscité, le nouveau temple de Dieu sur terre. Le geste bouleversant et novateur de Jésus est poursuivi par son apôtre des nations, qui baptise et consacre des païens au service de Dieu. Ceux et celles qui fréquentaient les temples des déesses et des dieux, qui partageaient allégrement les offrandes de viande auxdits dieux, qui se laissaient guider et maîtriser par leur appétit sexuel, Paul de Tarse les appelle maintenant les « saints » (1 Corinthiens 1,2), et leur rappelle qu’ils hébergent dans leur corps même l’Esprit de Dieu (1 Corinthiens 3,16).

Ce n’est pas que les Corinthiens soient parfaits – loin de là! La longue lettre que Paul leur écrit avec des interpellations et des remontrances en est la preuve. Néanmoins, Paul reconnaît même en eux la réalité nouvelle du Christ ressuscité faisant corps avec son Église. Ce n’est pas non plus que les Corinthiens n’aient plus besoin d’endroit pour prier, étant eux-mêmes temple de Dieu (1 Corinthiens 3,17). Ils avaient besoin d’une maison, d’un hôte pour s’assembler et prier. L’espace séculier d’une maison leur servait momentanément de temple pour célébrer l’eucharistie. Cependant, le risque était grand d’oublier la dimension sacrée de leur rencontre, qui virait à la fête entre amis riches, laissant de côté les moins bien nantis (1 Corinthiens 11,17-22). Paul leur rappelle alors qu’ils font mémoire du Christ mort pour tous (1 Corinthiens 11,23-25). Il les appelle à discerner le vrai corps du Christ qu’ils forment avec leurs frères et sœurs – même avec les plus pauvres ou ceux qu’ils ne voudraient pas fréquenter socialement – avant de s’approcher du pain et de la coupe (1 Corinthiens 11,28-29). Même si tout endroit peut devenir maison de prière, on ne peut y faire n’importe quoi.

La fraternité humaine est un projet difficile, aussi utopique que le culte sans bâtisse, sans commerce ni lieu. Plus nous sommes nombreux et différents, plus difficile cela devient, même parmi des chrétiens voisins. Dans notre vie quotidienne, nos intérêts divergent, nos préjugés et nos affinités nous séparent. Marquer des temps et consacrer des lieux à se rappeler que nous avons toutes et tous été appelés, choisis, rachetés de nos esclavages par un même sang versé pour tous, cela devient d’autant plus important. Nous avons besoin des espaces pour guérir de notre indifférence, de notre égoïsme, de nos rancœurs et parfois, de notre haine. Chérissons nos églises, finançons-les, fréquentons-les, y retrouvons-nous.

Sous le seuil du Temple, de l’eau jaillissait.

Le prophète Ézékiel se retrouve à Babylone, exilé de la Terre Sainte par le pouvoir conquérant. Il souffre non seulement du mal du pays, mais étant prêtre, il se désole de la perte du temple, maison de Dieu, lieu de rencontre entre le Seigneur et son peuple. Il sait qu’il ne reverra plus de ses yeux les parvis du temple de Jérusalem, mais il a la vision d’un temple nouveau, aux dimensions parfaites, qui lave la Terre Sainte de ses souillures par l’eau qui coule du côté droit (Ézékiel 47,1c), de son sanctuaire (Ézékiel 47,12c). La source qui ruisselle assainit tout sur son passage, redonnant vie à la mer Morte, abreuvant poissons et animaux, faisant pousser sur ses rives des arbres aux fruits abondants et au feuillage guérisseur.

Saint Jean fait sienne cette vision de renouveau. Il présente Jésus crucifié, son côté percé par la lance du soldat, d’où coule de l’eau et du sang (Jean 19,31-37). Le corps du Christ devient le nouveau sanctuaire. C’est en nous laissant guérir par la source du côté percé du Christ que nous pouvons partager la vision d’Ézékiel et voir toute église, toute paroisse, toute cathédrale, toute basilique et tout lieu de pèlerinage comme un seul et même temple, un seul peuple de Dieu construit en maison où Dieu habite. Voilà cet espace de rencontre que le Christ a rebâti en trois jours seulement, à même son corps ressuscité.

Le pape François voyait l’Église comme un hôpital de campagne, porteuse de soins aux blessés de la vie. De la basilique du Latran à Rome jusqu’à la moindre de nos chapelles, que nos églises soient toujours des maisons de guérison, ouvertes à tous.

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).

Source : Le Feuillet biblique, no 2907. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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