
Jésus dans la synagogue déroule le livre. James Tissot, 1886-1894.<br>
Aquarelle, 24,4 x 16,8 cm. Brooklyn Museum, New York (Brooklyn Museum).
Un enseignement inspiré par l’Esprit de Dieu
Odette Mainville | 3e dimanche du Temps ordinaire (C) – 26 janvier 2025
Échec de Jésus à Nazareth : Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Les lectures : Néhémie 8, 1-4a.5-6.8-10 ; Psaume 18 (19); 1 Corinthiens 12, 12-30
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
D’entrée de jeu, l’évangéliste Luc présente ses lettres de créance. Il s’est minutieusement informé, précise-t-il, avant d’entreprendre l’écriture de son Évangile.
Des témoins oculaires avaient d’abord transmis des témoignages relativement aux enseignements de Jésus, aux faits qu’il avait accomplis parmi eux et au mode de vie qu’il avait préconisé. Après son départ, ces témoins avaient jugé nécessaire de répandre cette Bonne Nouvelle dans leur entourage immédiat d’abord, mais au-delà des frontières de la Palestine également. Pour ce faire, ils ont non seulement eu recours aux témoignages oraux, mais aussi à de courts recueils écrits (par exemple, recueils de paroles, de paraboles, de miracles, etc.) destinés à préserver la mémoire de tout ce que Jésus a fait et enseigné. On en viendra finalement à consigner tout cela dans des ouvrages structurés, en l’occurrence, les évangiles, lesquels ont traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui. Celui de Marc serait le plus ancien des quatre évangiles. Quant à l’Évangile de Luc, il daterait des années 85-90.
Un Évangile rédigé à l’intention de Théophile
Qui est Théophile à qui Luc adresse son Évangile ? Les paroles d’introduction à son égard laissent clairement entendre qu’il s’agit d’un personnage d’une grande notoriété, très certainement influent dans son milieu. Un personnage alors susceptible de se faire messager de la Bonne Nouvelle, de favoriser la propagation de l’Évangile qui lui est confié. Or, on comprend qu’il aurait déjà reçu des enseignements, comme le souligne Luc. Considérant son influence auprès de son entourage, Luc aurait donc jugé nécessaire d’assurer l’exactitude et la pertinence des enseignements initialement reçus, toujours en vue de conforter la solidité de son témoignage. À cet effet et afin de bien appuyer sa propre crédibilité, Luc fait état des soins qu’il a lui-même mis à bien se renseigner auprès des témoins oculaires et de ceux qui se sont faits serviteurs de la Parole.
Par contre, le nom même du destinataire de l’Évangile de Luc, Théophile, pourrait ouvrir sur un plus large horizon que celui d’un seul personnage en particulier. Ce nom d’origine grecque peut se décomposer comme suit : theos signifiant Dieu et philos signifiant ami. Que le nom soit réellement celui du personnage à qui serait destiné cet Évangile ou qu’il soit un qualificatif destiné à décrire l’attitude caractérisant toute personne qui se fera réceptive face au message évangélique, il demeure très évocateur. Accueillir l’enseignement de Jésus et le mettre en pratique ferait alors du récepteur un ami de Dieu. Qu’en est-il alors de la teneur de cet enseignement ?
Jésus enseigne à la synagogue de Nazareth
Luc prend d’abord soin de préciser que déjà Jésus enseignait dans d’autres synagogues et que son enseignement était fort bien reçu, puisque tout le monde faisait son éloge. Quel sera alors le contenu de sa prise de parole à la synagogue de Nazareth, en ce jour de sabbat ? C’est en empruntant les paroles du prophète Isaïe qu’il livrera son propre message. Il n’est pas anodin d’en entendre à nouveau le contenu :
L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré de l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés.
Pour apprécier toute la portée de ces paroles, il est nécessaire d’en dépasser la simple connotation littérale.
D’entrée de jeu, Jésus reprend cette précaution déjà évoquée par le prophète Isaïe, à savoir qu’il est investi de la puissance de l’Esprit du Seigneur. Ces paroles, qui faisaient référence à la consécration du prophète dans l’Ancien Testament, appliquées à Jésus, elles renvoient à l’épisode de son baptême où l’Esprit descend sur lui. Autrement dit, dans les deux cas, l’Esprit du Seigneur se fait garant de l’exactitude du message qui va suivre. Mais alors qui sont donc les pauvres, les captifs, les aveugles et les opprimés auxquels s’adresse plus particulièrement le message de délivrance annoncé ?
Tout d’abord, ceux considérés comme pauvres. Non, il ne s’agit pas nécessairement d’individus dépourvus matériellement. Dans la Bible, cette catégorie de gens fait référence à tous ceux sans réelle influence dans leur milieu, ceux dépourvus de ce pouvoir affiché par les puissants, ceux qui sont sans voix quand il s’agit d’apporter des changements sociaux. On pourrait alors classer dans cette catégorie les étrangers, les veuves, les infirmes (dont les infirmités sont d’ailleurs considérées comme conséquence de leurs péchés), les affligés ; bref tous ceux que l’on pourrait qualifier de petites gens.
Quant aux captifs, il s’agit d’une catégorie qui peut s’apparenter à celle des pauvres. Outre ceux qui sont injustement privés de leur liberté au sens propre du terme, pourraient encore s’ajouter ceux captifs de tares physiques ou psychologiques, ceux captifs de préjugés sociaux ; en fait, tous ceux qui ne peuvent jouir d’une réelle liberté leur permettant de s’épanouir à tous égards.
En ce qui a trait à ceux désignés comme aveugles, encore là, il serait bien restrictif que d’y voir uniquement ceux atteints de cécité physique. Il peut s’agir encore de ces gens qui ne comprennent pas les raisons de l’existence, de ceux pour qui la Parole de Dieu est tout à fait étrangère ; ou encore ceux qui ont choisi les voies de l’iniquité, du mal, du péché. Jésus se fait donc lumière du monde parce que son message éclaire justement sur la voie à suivre pour s’accomplir personnellement, pour vivre selon la volonté de Dieu. Ainsi, l’aveugle représente celui à qui Jésus, par ses enseignements et ses actes, peut conduire vers la lumière pour une vie personnelle plus épanouie et devenir, par le fait même, un acteur efficace au sein de la société.
En Jésus s’accomplissent les prophéties d’Isaïe
Jésus termine son topo à la synagogue en affirmant que ce passage du livre d’Isaïe, qu’il vient de citer, s’accomplit maintenant. Qu’est-ce à dire ?
Il importe de redire que l’Évangile de Luc est rédigé plus de cinq décennies après le passage de Jésus en ce monde. Plus de cinq décennies à réfléchir, à comprendre, à réinterpréter tout ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Déjà par sa résurrection, on avait pu conclure que toute sa mission avait été couronnée par l’approbation intégrale de Dieu. La communauté chrétienne comprend alors qu’en Jésus se sont effectivement concrétisées les prophéties proclamées dans le livre d’Isaïe. Il devenait donc impératif de transmettre cette Bonne Nouvelle à travers le monde.
Cela impliquait toutefois de l’adapter pour qu’elle soit accessible à l’audience à laquelle elle s’adressait. Cela impliquait qu’il faille parfois paraphraser les propos de Jésus sans nécessairement les transmettre littéralement. Cela impliquait qu’on ait même pu lui attribuer des paroles qu’il n’avait pas explicitement prononcées, mais qui traduisaient tout ce qu’il fallait comprendre de sa mission terrestre pour la rendre toujours vivante, et cela, bien sûr, sous l’inspiration de l’Esprit du Seigneur Dieu.
Conclusion
À l’instar des évangélistes, dont Luc, qui ont su adapter le message de Jésus aux communautés auxquelles ils s’adressaient et le leur rendre compréhensible, cette même responsabilité incombe encore aujourd’hui à tout croyant qui se nourrit de la Parole de Dieu et plus particulièrement à toute personne mandatée pour en instruire la communauté chrétienne. L’Esprit demeure à l’œuvre quand il s’agit d’éclairer la voie de quiconque choisit de faire sienne celle préconisée par Jésus de Nazareth. Et dans cette perspective, il faut savoir reconnaitre les pauvres, les captifs, les aveugles et les opprimés de notre monde, afin d’exercer auprès d’eux, dans la mesure du possible, une saine influence pour les amener vers leur propre délivrance.
Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.
Source : Le Feuillet biblique, no 2875. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.
