La parabole du juge injuste. Pieter Fransz de Grebber, 1628. Huile sur panneau, 89 x 74 cm.
Musée des beaux-arts, Budapest (Web Gallery of Art).

Patience et confiance en soi

Christiane Cloutier DupuisChristiane Cloutier Dupuis | 29e dimanche du Temps ordinaire (C) – 19 octobre 2025

Parabole du juge qui se fait prier longtemps : Luc 18, 1-8
Les lectures : Exode 17, 8-13 ; Psaume 120 (121) ; 2 Timothée 3, 14 – 4,2
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En bon pédagogue, Jésus avait compris mieux que quiconque la force et l’impact d’une simple histoire. Il suffisait de bien choisir le sujet et de le raconter de façon vivante en donnant corps aux personnages de sorte que les gens, à la limite, pouvaient même parfois les identifier. C’est peut-être le cas ici en supposant que Jésus se soit inspiré de la réalité pour créer ce petit bijou littéraire. Peut-être y avait-il un juge reconnu pour son indifférence aux causes dont il devait rendre justice ainsi qu’une veuve lésée en justice connue de tous?

L’art d’écouter une parabole

Il faut apprendre à écouter cette parabole et être capable de voir le spectacle qui se déroule devant nos yeux. Nous assistons en direct à une joute unique entre un juge et une femme. D’un côté, un juge, homme de pouvoir, d’influence et de relations sociales haut-placées. De l’autre, une veuve qui appartient au ha am arezt, « au peuple de la terre », expression pour désigner « les gens sans pouvoir, sans argent et sans voix pour se défendre ». Le fait qu’elle soit femme ajoute l’injure à l’insulte puisque juridiquement elle n’existe pas en Israël. Les femmes sont considérées comme des objets qu’on possède. Elles n’ont aucun droit sauf celui d’exister à titre de « poule pondeuse » en particulier.

Et voilà que cette femme sans droit au sens propre du terme et sans pouvoir décide de s’adresser à ce juge sans foi ni loi : Un juge qui n’avait ni crainte de Dieu ni respect de personne (anthropos en grec, l’être humain et non un homme au sens de mâle, Luc 18,2). C’est ici que cela devient intéressant. Cette veuve qui surgit devant lui, n’a qu’une idée en tête, qu’on lui rende justice : « Rends-moi justice contre mon adversaire » (18,3). La présence de cette femme devant la maison du juge pour l’interpeler ne détonne pas. Nous ne sommes pas à notre époque où elle aurait pu facilement se faire accuser de harcèlement par le juge puisque l’histoire laisse entendre qu’elle est là chaque jour. C’est comme cela qu’elle coince le juge car les maisons de l’époque n’ayant qu’une porte, il ne peut lui échapper par une autre issue.

Il faut l’imaginer ce juge et le regarder entrebâiller délicatement sa porte pour voir si elle est là. Hélas oui, ELLE EST LÀ.  Impossible d’y échapper. Quelle ironie! Lui, ce puissant juge qui n’a peur de rien ni de personne, ne peut se soustraire à ce face-à-face et est obligé d’affronter régulièrement cette femme « sans pouvoir ». Et il n’y peut rien… à moins de céder et de lui rendre justice. C’est ce qu’il va faire. Il n’en peut plus, il ne peut plus la voir! Elle l’exaspère et est devenue son cauchemar!

Le texte rapporte « même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les personnes, eh bien parce que cette veuve me cause des tracas (trad. litt. gr. pas le mot ennui), je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus me frapper en-dessous des yeux (trad. litt. gr.) » (18,4-5). C’est ce que le juge vivait au sens propre car il l’apercevait avant même de l’entendre répéter sa rengaine. D’où le verbe grec très juste qu’elle « le frappait en-dessous des yeux ». On doit retenir ce côté visuel utilisé par Jésus. C’est un trait culturel de la tradition orale : on parle pour que l’image surgisse devant l’auditeur afin qu’il comprenne plus facilement comme dans une bande dessinée. Jésus voulait qu’on comprenne par son histoire qu’elle l’avait eu à l’usure par sa ténacité et sa persévérance.

Pour nombre d’exégètes, la parabole se termine au v. 6 : « Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice. » Jésus vient de démontrer que même un homme sans foi ni loi peut finir par exaucer une demande si on manifeste de la ténacité, de la volonté et de l’endurance. Combien plus alors Dieu nous écoutera-t-il! C’est exactement ce qu’il veut que nous comprenions et retenions de cette parabole. Selon cette exégèse, les versets 7 et 8 seraient des ajouts pour adapter cette parabole aux chrétiens de la fin du 1er siècle qui attendaient le retour imminent du Christ comme on peut le voir en 1 Th 4,14-18 et surtout en 2 Th 1,6-8 ; 2,1-2. En d’autres termes, l’ajout est destiné à des chrétiens qui commençaient à se décourager ; ou bien à des chrétiens qui vivaient douloureusement leur foi dans un milieu hostile (1 Th 2,14) et qui commençaient à désespérer.

Actualisation

Pour tout le monde, la conduite de cette femme en 2025 serait vue comme du harcèlement et considérée comme « intolérable ».  Cependant, il y a 2000 ans, cela ne causait aucun problème. Ne nous attardons pas à ce faux problème qui annulerait illico l’enseignement que Jésus voulait passer : faire confiance à Dieu et être tenace avec lui. C’est pourquoi la première chose à retenir, me semble-t-il, est le courage manifesté par cette femme. Sans relations sociales, sans ressources financières, elle a osé braver tous les obstacles dans l’espoir qu’on lui rende justice. Combien, parmi nous, avons ce courage devant un obstacle qui nous paraît insurmontable? Combien préfèrent abandonner… pour ne pas avoir de troubles, pour avoir la « sainte paix, » par peur maladive de la chicane, quitte à laisser pourrir une situation inacceptable? Nous sommes invités aujourd’hui à remarquer et surtout peut-être à imiter le courage et la détermination sans faille de cette femme pour ce que NOUS, nous considérons comme juste.

La deuxième chose à retenir, c’est la ténacité qu’elle a manifestée. Cette veuve a persisté, beau temp, mauvais temps. Elle n’a jamais perdu confiance ni en elle (c’était essentiel), ni dans sa cause, ni dans sa capacité à infléchir le juge. Autrement dit, sa confiance et son espérance ont été le moteur de son action, sa bougie d’allumage. C’est la raison d’être de cette parabole : développer la confiance sans faille en Dieu et par conséquent vivre dans l’espérance. Croire réellement qu’il est LÀ. À l’évidence, Jésus voulait soutenir, encourager et conforter la foi, la « confiance » des gens de son peuple en Dieu.

Il tenait aussi sans doute à leur démontrer l’égalité de tous devant Dieu. Peu importe que l’on appartienne à la plèbe ou à l’élite, Dieu entend notre « prière rengaine ». On peut avoir l’impression qu’il n’écoute pas, ne nous voit pas et qu’à la limite, n’a aucun souci de nous. Mais c’est faux nous rappelle Jésus : regarder ce juge sans conscience qui a fini par répondre, alors comment doutez-vous de Dieu, semble-t-il vouloir nous faire comprendre? Nous vivons à une époque où chaos, confusion à tous les niveaux, peur, désinformation et faim font la « une » pratiquement tous les jours. Comment ne pas se décourager et comment croire que Dieu est présent et non totalement absent? Beaucoup de gens autour de nous le pensent sérieusement et en arrivent à ne plus croire en rien. Leur foi s’effiloche à la vitesse grand V.

Autre réflexion concomitante

On se penche rarement sur l’utilité de la prière ou la perception de Jésus sur celle-ci sinon en disant au « aux fidèles » : « priez » comme si c’était une sorte de mantra magique. Mais prend-on le temps de raconter comment Jésus voyait la prière telle que Luc nous le rapporte au dans son évangile : « Demandez, il vous sera donné, frappez, il vous sera ouvert (11,9, trad. litt., passif divin, sous-entendu par Dieu) ; la parabole des amis ; 11,5-8 ; « Même s’il ne se lève pas parce qu’il est son ami… parce que l’autre est sans vergogne, il se lèvera pour lui donner tout ce dont il a besoin » (il n’avait demandé que trois pains) et en 11,3, ce verset incroyable du Pater : « le pain de nous du jour, donne à nous, jour après jour », ce qui signifie que le pain dont nous avons besoin dépend de ce que nous vivons selon les jours, sous-entendu un Dieu qui s’ajuste à nos besoins. C’est magnifique!

Derrière ces différents enseignements sur la prière, ce que Jésus essaie de faire comprendre à ses contemporains et à nous aujourd’hui, c’est de faire confiance à Dieu et de mettre notre espérance en lui. Ne jamais désespérer sous aucune condition ; continuer à croire qu’il est bien là même si on doute presque à 100% de sa présence parce que l’on a trop mal, parce qu’on est rendu au fond du baril, parce que personne ne nous a tendu la main. On peut ne pas comprendre son silence mais on doit continuer à faire confiance et à espérer car en tant qu’êtres humains, nous n’avons qu’une vue partielle de la réalité, raison pour laquelle souvent nous ne comprenons pas.

Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.

Source : Le Feuillet biblique, no 2904. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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