
Le pharisien et le publicain à l’intérieur d’une église. Dirck van Delen, 1653.
Huile sur panneau, 49 x 56 cm. The Clark Art Institute, Williamstown (Web Gallery of Art).
Être justifié ou non, là est la question!
Christiane Cloutier Dupuis | 30e dimanche du Temps ordinaire (C) – 26 octobre 2025
Le pharisien et le collecteur d’impôt : Luc 18, 9-14
Les lectures : Sirac 35, 12-14.16-18 ; Psaume 33 (34) ; 2 Timothée 4, 6-8.16-18
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
La réflexion de Luc, avant de raconter cette parabole de Jésus, est très intéressante. Il spécifie que cette histoire s’adresse à « certains qui étaient persuadés d’être eux-mêmes des justes et qui méprisaient tous les autres ». C’est ce que Jésus reprochait déjà aux pharisiens en 16,15 dans une interpellation sur la Loi et leur comportement : « Vous, vous montrez votre justice aux yeux des hommes mais Dieu connaît votre cœur … ».
On doit toujours se rappeler, quand on lit l’Évangile de Luc, qu’il écrit pour un auditoire ciblé, les personnes de sa communauté. S’il prend la peine de faire cette remarque que les exégètes attribuent à sa plume, c’est parce qu’il juge que l’attitude du pharisien se retrouve pami « certains membres » de sa communauté! Il tient donc à les interpeler pour qu’ils réalisent qu’ils ont besoin de méditer cette parabole et d’en tenir compte dans leur comportement chrétien. Vingt siècles nous séparent de cet enseignement mais il est toujours aussi valable pour nous aujourd’hui, d’où notre intérêt à bien le comprendre.
L’interprétation la plus courante et la plus facile porte presque toujours sur le comportement du pharisien qui nous apparaît comme un acte d’orgueil et de prétention, à nous qui, malheureusement, ne connaissons ni la culture ni la religion juives du 1er siècle de notre ère. Et le comportement du publicain comme un exemple d’humilité à imiter. Alors que là n’est pas la question dans cette parabole! « La présentation des deux personnages ne se situe pas au plan moral et n’oppose pas un hypocrite orgueilleux à un champion de contrition et d’humilité. Il n’empêche que le récit est organisé de façon telle que l’auditeur/lecteur ressente de la sympathie pour le publicain et de l’antipathie pour l’autre… [1] ».
La prière du pharisien
Regardons la position du pharisien : « Le pharisien s’étant placé debout priait en lui-même » : nous savons que les hommes Juifs de cette époque se tiennent debout quand ils s’adressent (prient) à Dieu (voir Mt 6,5). L’association entre se tenir debout et prier est bien attestée et semble être la norme de l’époque. La position debout du pharisien n’est donc pas exceptionnelle et ne doit pas être interprétée comme de la suffisance. Et le publicain, « qui se tenait à distance » est probablement debout lui aussi sauf que le paraboliste n’en souffle mot.
Dans l’histoire de l’interprétation, on s’est aussi beaucoup attardé à la prière du pharisien qui semble arrogante ou suffisante. Cependant quand on connaît le contexte culturo-religieux de l’époque, on constate que sa prière n’a rien d’inhabituel et s’explique. À l’évidence, le pharisien est heureux – « Mon Dieu, je te rends grâce parce que … » – de pouvoir se démarquer des hommes reconnus comme « voleurs, injustes, adultères ou encore comme ce publicain ». On ne doit pas douter de sa sincérité car on retrouve des accents similaires dans certaines prières juives et dans certains psaumes comme le Psaume 26,4-5.9-10 et Psaume 1,1-2, Deutéronome 21,6-7, Exode 30,17-31, etc. On retrouve aussi dans les Hymnes de Qumran un homme en prière qui rend grâce à Dieu « de ne pas l’avoir placé parmi les fourbes et hypocrites (1 QH VII,34). On a retrouvé également quelques bénédictions de rabbins qui ressemblent à cette eucharistie (ce mot grec translitéré veut dire action de grâce ou remerciement) du pharisien (Berakoth 28b et Tosphta Berakoth VII,18 [2]).
C’est justement parce que sa prière apparaît comme celle d’un homme juste et fidèle à Dieu que la finale en 18,14 a dû faire sursauter les personnes qui écoutaient cette parabole de Jésus. Ajoutons à cela que notre pharisien jeûne deux fois par semaine (caractéristique des juifs pieux et fidèles) et donne le dixième en dîme de tout ce qu’il gagne. Ce n’est pas une norme obligatoire et c’est admirable en soi. Alors comment se fait-il que cet homme ne sera pas justifié devant Dieu tel qu’on le verra au v. 14, verset qui est la pointe de la parabole, c’est-à-dire la raison pour laquelle Jésus raconte cette histoire. D’où l’importance de comprendre ce pourquoi il ne sera pas « justifié » devant Dieu.
La prière du publicain
Regardons maintenant le comportement du publicain : il se tient à distance, n’ose pas lever les yeux et se frappe la poitrine. Nous retrouvons dans 1 Hénoch 13,5 une description des « veilleurs qui ne pouvaient plus parler, ni même lever les yeux au ciel, tant ils avaient honte de leur péché et de leur condamnation » d’après la traduction de André Caquot. Flavius Josèphe dans Antiquités XI,143 raconte comment Esdras « rougit de regarder vers le ciel » à cause des forfaits commis par les chefs spirituels. Nous sommes en pleine tradition religieuse et culturelle juive. C’est un comportement qui suppose qu’on se reconnaît fautif ou coupable et qui n’a rien à voir avec l’humilité!
Quant à « se frapper la poitrine », dans le monde biblique aussi bien que dans la culture hellénistique (qui est celle de la communauté de Luc), c’est un signe d’émotion provoqué souvent par le deuil ou parfois par une situation désespérée, ce qui paraît être le cas ici. On retient donc que le publicain est conscient de sa condition de coupable ou de fautif devant Dieu et l’assume.
Cependant, et ce détail est important, ce qui a dû paraître étrange aux auditeurs de Jésus, c’est le silence du publicain sur son désir de réparation. Se déclarer pécheur est une chose mais ne manifester aucun désir de réparation pose question. On sait qu’au Yom Kippour, ce Jour du grand pardon des fautes, celles-ci ne sont remises que s’il y a réparation surtout à l’égard du prochain. Or, ici c’est le silence complet de la part du paraboliste. C’est donc ici que surgit l’inattendu, l’effet de surprise, la fracture qui caractérise les paraboles de Jésus : une histoire plausible, qui respecte les usages du quotidien et subitement, arrive un énoncé ou une façon de faire inhabituelle qui va à l’encontre de ce qui se fait ou de ce que l’on pense. C’est ce que Daniel Marguerat appelle « la fracture » qui vient tout changer et ouvre d’autres possibilités.
Résumons : nous voyons deux hommes en train de prier ; l’un est un juste et l’autre, un pécheur public. Et pourtant dans la finale 18,14, nous entendons que le pécheur qui n’a manifesté aucun désir de réparation repart justifié devant Dieu mais pas l’autre (trad. littérale). La surprise des auditeurs a dû être totale et sur le coup ils ont dû être choqués d’entendre pareille sentence. Une réflexion sérieuse s’imposait à eux pour comprendre ce que Jésus venait d’enseigner : que le pharisien, vu comme un juste, avait fait ce qui déplaît le plus aux yeux de Dieu selon Jésus : il avait affiché le plus grand mépris à l’égard de l’autre qu’il voit comme un pécheur. C’est ce mépris à l’égard des pécheurs qui est inacceptable aux yeux de Dieu selon la compréhension de Dieu qu’avait Jésus. En effet, Luc rapporte trois paraboles (chap. 15) qui expliquent la compassion et l’amour inconditionnel de Dieu à l’égard du pécheur : la brebis perdue, la drachme perdue et le fils perdu.
Et nous aujourd’hui
Nous vivons dans un monde où jugement et mépris de l’autre sont incessants. Sur cette question, les réseaux sociaux sont devenus de vraies plaies en accusant et en portant des jugements destructeurs sur un nombre incalculable de personnes incapables de se défendre. Cela devrait nous interpeler comme chrétiens.nes et nous amener à ne pas croire tout ce qui s’écrit un peu partout et faire confiance uniquement aux grands médias avec de vrais journalistes.
Personne, parmi nous, n’est complètement innocent. Nous avons tous, un jour ou l’autre, jugé ou méprisé des personnes en nous fiant aux apparences et sans aller plus loin pour essayer de comprendre tel ou tel comportement. Aujourd’hui, nous avons une rare chance de nous remettre en question et de remettre en question notre façon de regarder l’autre. Cela peut concerner notre fratrie, nos enfants, petits-enfants ou les enfants de notre voisinage, nos collègues de travail, certains de nos voisin.e.s. Questionnons-nous et demandons-nous sur quels critères on méprise et juge ces personnes et si ces critères ne sont pas simplement des préjugés ou des idées préconçues tellement plus faciles à accepter que de les contrecarrer ou de s’interroger. Souhaitons-nous de la mansuétude, de la compassion et une meilleure compréhension de l’autre et que l’Esprit de Dieu nous vienne en aide. Pratiquons la bienveillance et la tolérance et notre Dieu nous regardera en souriant, content de nous.
Formatrice spécialisée en études bibliques, Christiane Cloutier Dupuis détient un doctorat en Sciences religieuses (option Exégèse) de l’UQÀM.
Source : Le Feuillet biblique, no 2905. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.
[1] Article de Jaques Schlosser dans le collectif Les paraboles évangéliques, Cerf (Lectio divina, no 135), 1989 p. 279.
[2] Voir Hermann L. Strack et Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrash, t. II, 1924, pp. 240 et et 495.
