
Le tombeau ouvert. © George Richardson, 2011. Acrylique sur toile, 48 x 24 po (courtoisie de l’artiste).
Pleins feux sur le Christ ressuscité !
Anne-Marie Chapleau | 2e dimanches de Pâques (C) – 27 avril 2025
Jésus apparaît à ses disciples : Jean 20, 19-31
Les lectures : Actes 5, 12-16 ; Psaume 117 (118) ; Apocalypse 1, 9-11a.12-13.17-19
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Nul besoin de chercher longtemps le fil conducteur qui relie les uns aux autres tous les textes de ce deuxième dimanche de Pâques : c’est le Ressuscité lui-même ! À part le Psaume, les trois lectures sont tirées du Nouveau Testament et donnent explicitement à voir divers traits du Christ. Dans les Actes des Apôtres (première lecture), il est désigné comme « le Seigneur », dans l’Apocalypse de Jean (seconde lecture), il se manifeste en « semblant de Fils d’homme » et, dans l’Évangile, Thomas reconnaît en Jésus son Seigneur et son Dieu [1]. Le Psaume ferait-il cavalier seul dans cet ensemble qui pointe dans la même direction ? Peut-être pas.
« La pierre rejetée des bâtisseurs »
Bien entendu, le Psaume 117 ne parle pas directement du Christ ressuscité. En contexte de drame national [2], le psalmiste célèbre et demande tout à la fois le don du salut et bénit l’envoyé du Seigneur. Comme les auteurs du Nouveau Testament qui voient en Jésus la pierre rejetée par les bâtisseurs (v. 22-23) [3], nous pouvons relire ce psaume à la lumière du mystère pascal. À la résurrection, l’homme mort sur la croix se révèle être la pierre d’angle qui soutient toute la création et la renouvelle. Thomas, dans l’Évangile, le dit implicitement en reconnaissant en lui son Seigneur et son Dieu. Déjà, le Prologue de Jean avait affirmé la divinité du Verbe et son rôle dans la création [4].
« Mon Seigneur et mon Dieu »
Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
(Jean 1, 1)
[…]
Alors Thomas lui dit :
« Mon Seigneur et mon Dieu. »
(Jean 20, 28)
Les mots attribués à Thomas dans le dernier chapitre de la version primitive de l’évangile de Jean [5] forment ce qu’on appelle une « inclusion » avec l’affirmation de la divinité du Verbe dans le premier verset du livre. En termes techniques, une inclusion est un procédé littéraire qui consiste en la répétition, à distance, des mêmes mots ou expressions. Cette répétition pointe vers un enjeu majeur du texte qu’elle encadre, ici l’Évangile au grand complet : la divinité du Verbe, autrement dit de Jésus. Le disciple ne parvient à cette sublime profession de foi qu’au terme d’un cheminement que Jésus lui-même vient guider. Dans le texte précédent (Jn 20,11-18), Marie-Madeleine avait appris à renoncer à la présence physique du Seigneur. Le récit poursuit sa pédagogie ecclésiale post-pascale en montrant comment Thomas, de son côté, doit abandonner ses exigences de preuves pour faire confiance à la parole seule.
Absent lors de la première visite de Jésus, il ne reçoit pas comme les autres disciples [6] la parole qui, porteuse de la paix du Ressuscité, vient guérir leur cœur troublé par la peur des Juifs (v. 19). Le témoignage des autres ne lui suffit pas. En homme rationnel, Thomas résiste. On ne lui fera pas avaler n’importe quoi ! À coup de « si », il pose les conditions de son « croire » (v. 25). Jésus, à son retour le huitième jour [7], semble entrer dans son jeu en lui proposant d’avancer le doigt et la main (v. 27). Mais, contrairement à ce que donnent à voir certaines œuvres d’art [8], le disciple, dans le texte, ne touche pas Jésus. Il croit plutôt à partir de la parole qu’il a dite : « cesse d’être incrédule, sois croyant» (v. 27). Nous aussi, comme notre « jumeau », devons relever le défi de croire à partir d’une parole : celle des Évangiles, celle de l’Église, celle de tous les témoins qui nous ont précédés.
« Moi aussi je vous envoie »
« Heureux ceux qui croient sans avoir vu », ajoute Jésus (v. 29). Cette parole semble s’adresser directement à nous qui ne l’avons pas côtoyé en Palestine. Le verbe « voir » utilisé ici exprime une vision si intérieure qu’elle équivaut à l’acte de croire. Nul doute que c’est auprès de l’Esprit Saint que Jésus nous a transmis comme à tous ses disciples (20,22 ; voir 19,30 [9]) que nous apprendrons ce regard intérieur. Le Souffle de vérité (voir Jn 14,17) nous fera aussi advenir pleinement comme disciples envoyés par le Christ pour poursuivre sa mission (v. 21b).
Le verset 23 sert souvent à fonder le pouvoir de pardonner des prêtres catholiques. Mais, à l’époque de la rédaction de l’évangile [10], il n’y avait pas encore de ministères ordonnés. Et, comme le mot « péché » n’est pas répété dans le texte, on pourrait même supposer que l’enjeu ici est de soutenir les membres plus faibles de la communauté plutôt que de retenir leurs fautes [11].
« Et tous étaient guéris »
Quoi qu’il en soit, cette dimension du « prendre soin » est bien présente dans la première lecture, le troisième des huit principaux sommaires des Actes des Apôtres. Un sommaire est un résumé stéréotypé d’éléments importants de la vie des premières communautés chrétiennes. Celui-ci insiste sur les signes et prodiges de Dieu accomplis par la main de Pierre et des autres Apôtres (v. 12), signes qui, manifestant les fruits de sa résurrection, pointent vers le Seigneur Jésus, celui auquel s’attachent les nouveaux croyants (v. 14).
« Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts »
La mort est-elle la fin de tout ? Pourquoi vivre si c’est pour mourir ? Dans le livre de l’Apocalypse, une affirmation d’une force incroyable se dresse devant nos questionnements existentiels les plus obsédants : « Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts» (v. 18b). Qui d’autre que le Vivant, le Christ ressuscité peut prétendre à un tel pouvoir ? Il se manifeste ici comme un « semblant de Fils d’homme » (v. 13) dont l’identité divine ou céleste est attestée par son apparence grandiose [12]. Dès le début du livre, c’est sa voix puissante qu’entend Jean lui ordonner d’écrire ce qu’il verra (v. 10). Et il en verra des choses ! Des visions fantastiques peuplées de bêtes, d’anges et d’un dragon, qu’il ne faut surtout pas prendre au pied de la lettre. Tout ici est symbolique et sert à déployer une espérance. L’Apocalypse dit le « vrai » qui découle de la résurrection : la victoire totale du Christ sur toute forme de mal, y compris la mort, et la vocation de l’être humain à vivre des relations éternelles [13]. C’est bien pour cela que la résurrection du Christ nous intéresse !
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.
[1] Nous reviendrons dans un instant à cette affirmation centrale.
[2]
Peut-être l’exil à Babylone, mais il est difficile de le préciser.
[3]
Voir par exemple Mt 21,42 ; Ac 4,11, Rm 9,33 ; 1 P 2,4s.
[4] « Le Verbe était Dieu » (Jn 1,1) ; « Par lui tout a paru » (Jn 1,3). « Verbe » pourrait être traduit « Parole ».
[5]
De l’avis de l’ensemble des commentateurs, la première version du quatrième évangile se terminait avec le verset 31 du chapitre 20. Le chapitre 21 a été ajouté dans un second temps.
[6]
À noter : l’évangéliste Jean n’emploie jamais le mot « Apôtre » pour désigner les hommes que Jésus a choisis. Ils sont simplement présentés comme des disciples. Par ailleurs, Jean n’utilise pas le substantif « foi » dans son évangile, mais toujours le verbe « croire », ce qui accentue la dimension active et engageante de la foi.
[7]
Le dimanche.
[8]
Notamment la représentation du Caravage où Thomas a le doigt bien enfoncé dans le côté du Christ.
[9]
Traduction littérale : « il livra le Souffle ». Plusieurs exégètes y voient la Pentecôte johannique, réitérée en 20,30.
[10]
Vers 90-100.
[11]
C’est la proposition de l’exégète américaine Sandra Schneiders, « The Lamb of God and the Forgiveness of Sin(s) in the Fourth Gospel », Catholic Biblical Quarterly, [73] 1 (2011), p. 1-29 qui traduit ainsi le verset 23 : « Of whomever you forgive the sins, they (the sins) are forgiven to them ; whomever you hold fast [or embrace], they are held fast ». « De quiconque vous pardonnez les péchés, ils (les péchés) leur sont pardonnés) ; quiconque vous tenez fermement [embrassez], ils sont tenus fermement » (ma traduction).
[12]
Le découpage liturgique ampute malheureusement la description qui en est donnée (Ap 1,13-16) et où abondent le blanc et l’or, couleurs symboliques par excellence du divin. L’allusion au « semblant de fils d’homme » du livre de Daniel, autre personnage céleste à qui est remis tout pouvoir, est claire (Dn 7,13-14). Le glaive acéré à deux tranchants qui sort de sa bouche proclame l’importance et la puissance de sa parole (v. 16).
[13]
Voir en Ap 21,1-8 la description de la Jérusalem céleste.
Source : Le Feuillet biblique, no 2888. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
