
L’adoration de l’agneau mystique. Miniature du Beatus de Leon. Commentaire médiéval de l’Apocalypse. Bibliothèque nationale de Madrid, Ms Vit.14.2, folio 205 (Wikimedia).
La vie éternelle… rien de moins!
Alain Faucher | 4e dimanches de Pâques (C) – 11 mai 2025
L’apparition au bord de la mer : Jean 21, 1-19
Les lectures : Actes 5, 27b-32.40b-41 ; Psaume 29 (30) ; Apocalypse 5, 11-14
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
C’est aujourd’hui le dimanche de prière pour les vocations. Chaque année du cycle de trois ans, l’évangile du 4e dimanche de Pâques met en vedette la métaphore de Jésus pasteur. D’une année à l’autre, le Lectionnaire déploie ainsi le chapitre 10 de l’Évangile selon Jean, quoi que de manière plus discrète dans l’année C. Lors des années A et B, l’image de Jésus pasteur se déploie avec plus d’intensité. Aujourd’hui, les résidus du chapitre 10 nous fournissent quelques bribes d’information vraiment essentielles.
Cette brièveté de l’évangile ne veut pas dire que la sélection biblique de l’année C soit dénuée d’impact. L’Évangile est bref (4 versets), mais les autres lectures le mettent en valeur et sont tout à fait fascinantes. Mais surtout, on sent en ce dimanche la présence d’un pôle unificateur. Selon la première lecture (les Actes des Apôtres) et l’Évangile, il s’agit clairement de la vie éternelle. Dans la deuxième lecture, on décrit l’activité devant le Trône et l’Agneau comme un événement se déployant jour et nuit. Une autre manière d’évoquer le ad vitam aeternam…
Une stratégie de communication pertinente
La première lecture évoque de vigoureuses discussions au sujet de la réorientation missionnaire de Paul et Barnabé. On peut douter de l’intérêt, pour les vocations de notre vie chrétienne actuelle, de ces conversations tenues au début de l’histoire chrétienne. Il s’agissait de décentrer la proclamation visant les Juifs pour la recentrer sur les candidats issus des nations païennes. Intérêt purement archéologique, direz-vous? Cependant, le contexte actuel de renouveau missionnaire nous incite à jeter un second regard sur le récit de ces événements des origines.
En effet, on constate dans le texte une progression missionnaire très respectueuse de la part de Paul et Barnabé. Ils commencent par une communication ajustée aux coutumes de la synagogue. C’est seulement lorsqu’une partie de ce public-cible ne veut pas franchir le seuil de la vie éternelle en écoutant la parole de Dieu que les missionnaires se sentent autorisés à aller vers les gens en dehors du judaïsme.
Le cadre de la communication missionnaire est celui du sabbat. Paul et Barnabé respectent et relancent le potentiel de salut de cette journée consacrée à Dieu. Paul et Barnabé, parlant avec les personnes de la synagogue sympathiques à leur cause, les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu. Cet encouragement à la continuité est une étape missionnaire car la consolidation du lien existant entre le croyant et Dieu est un travail déjà méritoire et cohérent : le don de Dieu n’est pas affaire d’un instant, mais nécessite continuité.
Appliquée à notre époque, cette gradation nous rappelle que des gens nombreux ont besoin de renouer avec une institution familière. Pour déployer une foi latente, potentiellement énergique. Il ne faut pas les abandonner en les excluant trop vite de notre champ de vision pastoral conventionnel! Autrement dit, avant de nous investir uniquement en pastorale de la mission, il faut prendre le temps de vérifier si nous ne laissons pas de côté des membres dormants de nos communautés chrétiennes… Loin d’être des échos de potins ennuyeux, le récit de la première lecture nous invite à un équilibre vocationnel dans le service des communautés et l’exploration de nouveaux sites pour la foi renouvelée.
Un Agneau fascinant
Le dernier livre de la Bible présente un portrait enthousiaste de Jésus et de ses disciples issus de toutes les nations de la terre. Jésus siège en compagnie de l’occupant du Trône par excellence. Et ses disciples, au-delà de la grande épreuve, sont comme marqués par des signes du pouvoir. L’occupant du Trône a les moyens d’offrir à chacun le vêtement de fête, comme pour une noce de fort calibre…
La couleur blanche joue un rôle important pour caractériser l’appartenance royale. La luminosité des vêtements de fête contraste avec son origine. La blancheur provient du sang de l’Agneau. Passe-passe chimique? On s’attendrait plutôt à des vêtements tachés par le sang, bien malpropres! Mais justement, le rôle de l’Agneau, c’est de maintenir la vie, en conduisant les disciples consolés vers les eaux durables.
Dans une société aux ressources si limitées, il est fascinant de voir ainsi proclamée la démesure, note caractéristique de la foule qui bénéficie d’un sort heureux. De nombreuses transformations physiques positives découlent du témoignage rendu en faveur de l’Agneau. De plus, les besoins fondamentaux (faim, soif) sont comblés par la présence devant le Trône.
Les pouvoirs de la terre n’ont plus de contrôle sur les impacts générés par l’Agneau, cet être céleste. De plus, ces effets concernent une foule diversifiée au superlatif, comme l’exprime la série de termes toutes nations, races, peuples et langues.
Mais pourquoi cet Agneau est-il si puissant? Comment un être associé à l’image du sacrifice de la Pâque peut-il susciter un tel engouement et créer tant de bienfaits? Des spécialistes des littératures gréco-romaines y voient une allusion au calendrier astronomique. La position dominante de la constellation du Bélier dans le ciel marquait le début de l’année dans le calendrier méditerranéen. Debout, tête tournée vers l’arrière, le Bélier agissait en chef des constellations. Dans les langues de la Terre sainte, on désigne cette constellation comme celle de « l’Agneau mâle ».
Les premières générations chrétiennes disposaient ainsi d’une image incontestable, une image d’envergure astronomique pour décrire le Fils immolé comme un chef toujours en activité.
La vie éternelle en cadeau
Les habitués du Quatrième évangile retrouveront avec bonheur certains traits récurrents de leur texte préféré. La brièveté du texte de ce jour ne dilue en rien la puissance de l’écrit sacré.
La métaphore de Jésus-pasteur est brièvement abordée, d’abord sous l’angle de la voix. La familiarité du troupeau avec son bienfaiteur se manifeste dans l’écoute sereine de la voix rassembleuse.
Jésus est présenté comme le donateur des biens reçus par le Père : la vie éternelle, rien de moins… Cette relation forte garantit la sécurité (jamais elles ne périront) et la pérennité de la relation (personne ne les arrachera de ma main). Sécurité et appartenance sont l’heureux sort des membres du troupeau : Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main.
Comment Jésus peut-il être si sûr du maintien de ce lien? Jésus s’appuie sur la relation très claire qu’il entretient avec son Père : Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes un. Voilà résumé, en quelques mots, le Quatrième évangile dans son apport original à la Révélation…
Alain Faucher est prêtre du Diocèse de Québec. Professeur d’exégèse biblique à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, il est directeur général des programmes de premier cycle.
Source : Le Feuillet biblique, no 2890. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
