
L’assemblée tenue par les apôtres à Jérusalem selon Actes 15.
Icône écrite en 2013 par don Andres Bergamini.
Pour un discernement éclairé
Francis Daoust | 6e dimanches de Pâques (C) – 25 mai 2025
Adieu et paroles d’encouragement : Jean 14, 23-29
Les lectures : Actes 15, 1-2.22-29 ; Psaume 66 (67), 2b-3, 5abd, 7b-8 ; Apocalypse 21, 10-14.22-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
La première lecture de ce sixième dimanche de Pâques, tirée des Actes des Apôtres (Actes 15,1-2.22-29), rappelle un conflit interne de l’Église naissante, portant sur le respect de la Loi de Moïse par les nouveaux chrétiens provenant du monde gréco-romain. L’analyse des facteurs ayant permis la résolution de ce différend peut être éclairante pour nous aujourd’hui lorsqu’un désaccord survient, que ce soit sur le plan ecclésial, collectif, voire familial.
Les obligations de la Torah
Le problème dont il est question en Actes 15 est celui de la circoncision, qui, selon certains chrétiens issus du judaïsme, devrait être exigée des nouveaux croyants provenant du monde païen. Il s’agit d’une complication majeure, car elle sous-tend toute la question, beaucoup plus large et fondamentale, de l’observation de la Loi de Moïse au sein de l’Église naissante. Elle se résume ainsi : les nouveaux élus du peuple de Dieu doivent-ils se soumettre aux obligations de la Torah afin de faire partie de la Nouvelle Alliance?
À noter que cette question provient de « quelques membres du groupe des pharisiens qui étaient devenus croyants » (Actes 15,5). Il s’agit donc de personnes qui ont baigné toute leur vie dans l’étude des Écritures, mais qui ont été interpellés par l’enseignement du Christ. Ce sont des gens qui ont la Torah à cœur et qui se souviennent d’avoir entendu Jésus dire : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Matthieu 5,17). Leur surprise devait être grande de voir que l’on abandonnait si facilement les règles de la Torah et, en particulier, une pratique aussi fondamentale, significative et identitaire que la circoncision.
Entendre tout le monde
La première lecture d’aujourd’hui ne fournit que l’introduction (Actes 15,1-2) et la conclusion (15,22-29) du conflit. Afin de comprendre ce qui a conduit à la résolution du problème, il importe donc de s’intéresser aux versets 3 à 21, où est racontée la rencontre à Jérusalem entre ceux qui soutenaient l’importance d’observer la Loi de Moïse et ceux qui n’en voyaient pas la nécessité.
Pierre et Jacques interviennent de manière décisive dans la délibération, mais ils ne le font que lorsque chaque personne a eu l’occasion de parler. Paul et Barnabé, en effet, ont eu la possibilité de rapporter tout ce que Dieu avait fait pour eux durant leur ministère auprès des nations (v. 4) et les membres de l’Église issus du pharisaïsme ont pu expliquer l’importance d’observer la Loi de Moïse (v. 5).
Certaines traductions laissent sous-entendre que Pierre prend la parole parce que la discussion est trop enflammée : « Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint » (traduction œcuménique de la Bible) ; « Comme cela provoquait une intense discussion, Pierre se leva » (traduction liturgique). Ces formulations donnent l’impression que les échanges animés ne sont pas souhaités et qu’il faut les interrompre. Mais le texte grec mentionne au contraire que Pierre intervient « après beaucoup de discussion » (v. 7), c’est-à-dire après que plusieurs personnes aient pris la parole et aient eu l’occasion de s’exprimer et de faire valoir leur opinion.
Cette manière de fonctionner correspond bien aux pratiques ayant cours dans les milieux rabbiniques. Dans la mishna, par exemple, cette mise par écrit des traditions orales portant sur la Torah, divers rabbins prennent position et offrent leur avis sur la bonne manière d’appliquer la Loi de Moïse. En tant qu’Occidentaux fortement influencés par la culture grecque, cette façon de parlementer peut nous surprendre. Les philosophes grecs, dont nous avons fortement hérité, étaient beaucoup moins collégiaux lorsque venait le temps de faire valoir leur pensée. Ils préféraient débattre et n’hésitaient pas à attaquer ou ridiculiser leurs adversaires. Peut-être aurions-nous intérêt à nous inspirer davantage de la manière juive de fonctionner lorsque surgit une différence de pensée parmi nous?
Une foi efficace
Lorsque Pierre intervient, il commence par établir sa compétence en ce qui a trait à l’évangélisation des païens. Il ne ménage pas ses mots : si les nations ont entendu parler de l’Évangile, c’est par sa propre bouche (v. 7). Il amorce alors son argumentaire en s’adressant à ses frères en soulignant que ces nouveaux croyants ont eux aussi reçu l’Esprit et que leur cœur à eux aussi a été purifié par la foi (v. 8-9). Pour ces raisons, les chrétiens provenant du paganisme ne sont pas différents de ceux issus du judaïsme. Paul et Barnabé témoignent alors des signes et des prodiges accomplis par Dieu parmi les nations (v. 12). La foi de ces gens est donc à la fois légitime, selon l’attestation de Pierre et porteuse de nombreux fruits, selon le témoignage de Paul et Barnabé.
Le dessein de Dieu
C’est alors au tour de Jacques de prendre la parole. Il rappelle d’abord, de son côté, que Dieu s’est choisi un peuple parmi tous ceux du monde (v. 14). Mais il se réfère ensuite aux prophéties de l’Ancien Testament pour expliquer qu’Israël n’a pas été à la hauteur de cette élection divine et qu’un nouveau peuple de Dieu sera formé à partir de toutes les nations de la terre (v. 15-18). Le plan du Seigneur pour l’humanité et le recours aux Écritures s’avèrent donc être les deux critères retenus par Jacques pour la résolution du conflit ayant trait à la circoncision et à l’observation de la Loi de Moïse.
Ne pas troubler
En plus des arguments déjà présentés, Pierre et Jacques ont en commun le souci de ne pas porter atteinte à ces nouveaux croyants issus des nations. Pierre l’exprime en mentionnant qu’il ne faudrait pas leur imposer le joug de la Loi, que les juifs eux-mêmes n’avaient pas eu la force de porter. Jacques, de son côté, le fait en concluant qu’il ne faut pas tracasser ceux et celles qui, des nations, viennent vers Dieu. Les deux apôtres ne veulent pas nuire à l’action de Dieu, qui se déploie parmi ces nouveaux croyants. L’esprit y fait un travail efficace et il s’agit là du plan divin, annoncé par les prophètes.
Pas n’importe qui!
C’est alors que toute l’Église, à l’unanimité, s’entend pour envoyer deux émissaires, Jude et Silas, avec Paul et Barnabé, pour faire part aux gens d’Antioche de leur décision. Il est important de noter ici à quel point le récit met l’emphase sur l’autorité des personnes impliquées dans le conflit. Nous avons d’un côté Pierre, Jacques, Paul, Barnabé, Jude, Silas, les Apôtres et les Anciens. Nous pourrions même ajouter les prophètes, Jésus et Dieu dans le camp de ceux qui sont en faveur d’un allègement des obligations pour les nouveaux croyants issus du paganisme. De l’autre côté, on ne retrouve que des personnages anonymes : « Des gens venus de Judée » (v. 1), « quelques membres du groupe des pharisiens » (v. 5) et « certains des nôtres » (v. 24). Ça ne pèse pas lourd dans la balance!
Apporter le réconfort
L’action de ceux soutenant la pratique de la circoncision avait semé « le trouble et le désarroi » (v. 24) parmi les gens d’Antioche. Mais le message transmis par les émissaires de Jérusalem apporte la joie et le réconfort (v. 31). Voilà bien le but recherché par Pierre, Jacques et toute l’Église rassemblée autour d’eux : ne pas freiner les nouveaux croyants, mais leur permettre au contraire de goûter à la joie et au réconfort engendrés par l’accueil de la Bonne Nouvelle.
La description de la rencontre s’étant tenue à Jérusalem permet de voir ce qui a permis d’atteindre cet objectif ultime. Il faut d’abord écouter tout le monde et donner la chance à tout un chacun de s’exprimer. Il importe ensuite observer si l’initiative prise porte des fruits de l’Esprit. Il s’avère également utile de se référer aux Écritures et de tenter de comprendre le dessein de Dieu. Mais le plus important demeure la nécessité de ne pas entraver le cheminement spirituel de ceux qui marchent vers le Seigneur. L’exemple de la « réunion au sommet » racontée en Actes 15 nous montre qu’il ne s’agit pas de laisser ces personnes faire ce que bon leur chante, car certaines restrictions sont tout de même maintenues. Mais ce récit nous fournit de nombreuses balises pouvant nous guider dans notre discernement.
Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).
Source : Le Feuillet biblique, no 2892. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.
