L’arc-en-ciel. Horatio Walker, 1893. Aquarelle sur papier, 41,7 x 53,8 cm. Musée des beaux-arts du Québec.

Le jour de la grande rencontre

Marc GirardMarc Girard | 1er dimanche de l’avent (A) – 30 novembre 2025

Exhortation à la vigilance : Matthieu 24, 37-44
Les lectures : Isaïe 2, 1-5 ; Psaume 121 (122) ; Romains 13, 11-14a
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Pour mieux saisir le sens des paroles de Jésus, le lecteur trouvera grand profit à déchiffrer l’articulation précise des idées. Matthieu, qui redevient notre Évangéliste-guide pour l’année liturgique qui commence aujourd’hui, est un maître écrivain, avec plus d’un tour littéraire dans son sac! Mettons-nous à son école.

Il faut, à notre avis, distinguer trois petits morceaux dans le discours. Première partie (vv. 37-39) : Jésus annonce qu’il reviendra à l’improviste, aussi soudainement que le déluge qui a secoué jadis l’insouciance des habitants de la terre. Deuxième partie (vv. 40-41) : quand Jésus reviendra, le sort des hommes sera définitivement fixé. Troisième partie (vv. 42-44) : Jésus annonce à nouveau qu’il reviendra à l’improviste, aussi soudainement que le voleur qui frappe l’insouciance d’un propriétaire endormi ; mais ici, pour notre bénéfice, il tire la conséquence morale de cette éventualité, c’est-à-dire la nécessité d’être toujours prêts et vigilants.

Le lecteur aura tout de suite remarqué que la première et la troisième partie ont au moins deux points en commun. D’abord, Jésus annonce son retour comme un événement imprévisible. Puis, pour faire comprendre ce caractère imprévisible et inattendu, il prend deux comparaisons : l’une, tirée de l’histoire biblique ancienne, rappelle l’événement du déluge auquel personne ne s’attendait ; l’autre comparaison procède plutôt de l’expérience courante et ordinaire de la vie de tous les jours, et elle n’a guère vieilli, si l’on en juge par les systèmes d’alarme sophistiqués que les propriétaires de maisons ou de chalets se font installer pour dissuader les cambrioleurs.

Entre la première et la troisième partie qui se correspondent, la deuxième se dégage, un peu comme le sommet d’une montagne entre ses deux versants. On peut y voir l’idée principale de tout le texte. Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée (vv. 40-41). Il s’agit, comme nous le verrons bientôt, du thème du jugement final.

Première partie : la fin du monde

Que le lecteur prenne en mains son texte d’évangile! D’entrée de jeu, il se rendra compte que la première partie (vv. 37-39) débute avec les mots l’avènement du Fils de l’homme et se termine exactement par les mêmes mots. Événement futur, il va sans dire, à la fin des fins. Entre les deux emplois de l’expression, il n’est plus question que de l’événement passé qui sert de point de comparaison, le déluge (voir Genèse 6-8). Quand le jugement de Dieu frappe dans l’histoire, d’ordinaire, les hommes concernés ne se doutent de rien : on vit (on mangeait, on buvait, on se mariait) comme si de rien n’était, dans l’inconscience et sans souci. Seuls sont sauvés ceux qui, tel Noé, font l’expérience de Dieu : alertés intérieurement, ils se préparent ; attentifs aux indications divines, ils se mettent à l’abri (dans l’arche) et flottent au-dessus des eaux dévorantes du mal, du péché et de la mort.

Deuxième partie : le tri

L’avènement du Fils de l’homme surprendra les hommes là où ils seront. Matthieu fait état seulement du lieu de travail (aux champs pour les hommes et au moulin pour les femmes). Luc parle, en plus, du lieu de repos : Je vous le dis, cette nuit-là, deux personnes seront sur le même lit : l’une sera prise et l’autre laissée. Deux femmes seront en train de moudre ensemble. L’une sera prise et l’autre laissée. (Luc 17,34-35)

L’avènement du Fils de l’homme surprendra les hommes non seulement là où ils seront mais aussi tels qu’ils seront, et leur sort se trouvera fixé en conséquence. Un peu comme un appareil-photo : quand l’instantané est pris, on ne peut plus modifier l’image sur la pellicule ; elle s’y trouve fixée à tout jamais, immuable.

Le fait de parler de deux hommes et de deux femmes prend ici un sens très fort : au fond, au jour du jugement, l’humanité tout entière sera partagée, triée en deux camps : les sauvés, et les damnés (l’un est pris, l’autre laissé : il faut comprendre « pris dans le Royaume » et « laissé en dehors »). En apparence, deux personnes qui font le même travail ont l’air bien semblables. Mais ce n’est ni le manger ni le boire ni le fait d’être marié ni le zèle à bien accomplir son métier qui différencie les hommes en profondeur ; c’est l’option fondamentale, pour ou contre le Fils de l’homme. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux (Matthieu 10,32-33). Alors seulement – le vieillard Syméon l’avait prévu – seront dévoilées les pensées secrètes de beaucoup de cœurs (Luc 2,35).

Troisième partie : la vigilance

Entre-temps, pas de folies : Tenez-vous donc prêts, vous aussi (v. 44). Et surtout, il faut garder l’œil ouvert : Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra (v. 42). Reprenons l’analogie de la photographie : si une nouvelle mariée ferme les paupières, ne fût-ce qu’une seconde, au moment de la photo de noce officielle, celle-ci n’est-elle pas ratée et irréparable?

Jésus reviendra comme un voleur, sans coup de téléphone pour s’annoncer d’avance. Il se présentera un peu comme un artiste-photographe qui se dissimule pour mieux prendre ses modèles « au naturel ». Quand surviendra le jour du jugement final, il n’y aura plus du tout de place pour les « j’aurais donc dû! » ...

Synthèse : la peur de soi

À première vue, cette page d’évangile a de quoi épeurer. On se demande même si Jésus ne joue pas un peu fort avec nos émotions. On n’aime pas les déluges ni les voleurs. Faut-il avoir peur de Dieu? du Fils de l’homme? du fameux jour dont parle si souvent la Bible? Faut-il, en somme, avoir peur du jugement? Que non! C’est bien plutôt de soi-même qu’il faut avoir peur.

Quand on se contente de manger, de boire, de se marier sans le moindre horizon, c’est-à-dire sans voir plus loin que son nez, plus loin que l’instant présent et la surface des choses, on devrait avoir peur, car on dort, sans se douter de rien, sur un coussin de dynamite. Quand on vit endormi, sans le moindre café (ou stimulant) spirituel, sans système d’alarme contre les voleurs, sans aucun souci de l’avenir éternel de l’homme, on s’organise forcément pour être surpris, démasqué, brusqué par le choc de la fin, pris en flagrant délit d’inconscience ...

Mais, tout compte fait, on aurait tort de voir l’avènement du Fils de l’homme sous couleur de catastrophe. N’est-ce pas plutôt le but suprême de la vie, la ligne d’arrivée du long marathon de l’existence terrestre, le terme de notre espérance d’hommes et de femmes en marche vers une existence plus accomplie? Le jour du Seigneur, c’est la grande rencontre. Une rencontre à laquelle on ne s’attend pas nous laisse hébétés. Une rencontre à laquelle on se prépare depuis longtemps prend un sens tout autre…

Marc Girard est prêtre et professeur honoraire du département des sciences humaines de l’Université du Québec à Chicoutimi.

Source : Le Feuillet biblique, no 2910 (première parution : Feuillet biblique 1208, 30 novembre 1986). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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