(Christian Buehner / Unsplash)

Heureuse (eu)catastrophe

Patrice PerreaultPatrice Perreault | 2e dimanche de l’avent (A) – 7 décembre 2025

La prédication de Jean-Baptiste : Matthieu 3, 1-12
Les lectures : Isaïe 11, 1-10 ; Psaume 71 (72) ; Romains 15, 4-9 
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce second dimanche de l’Avent où la conjecture apparaît plus sombre que jamais [1], où toute espérance est reléguée aux chimères de personnes « pelleteuses de nuages », il importe de se rappeler que l’espérance chrétienne ne se cantonne pas uniquement dans l’au-delà, mais devient une véritable espérance incarnée. Les textes de la liturgie témoignent de cette incarnation concrète.

L’espérance au cœur du tragique

Le texte d’Isaïe de ce dimanche illustre le lien idéal entre le roi et la divinité. Par l’esprit (le souffle), un futur roi, favorisera la pratique de la justice. Cette justice biblique ne se caractérise pas d’abord par l’impartialité, mais par la compassion envers les personnes les plus pauvres, fragiles et vulnérables [2] des sociétés antiques en l’occurrence, la veuve et l’orphelin (Isaïe 11,4).

Par contre, les premiers versets mettent l’accent beaucoup moins sur les actions que sur la capacité de l’Esprit de pouvoir discerner et juger. On y retrouve les dons de l’Esprit tels que perçus dans la tradition catholique [3] : sagesse, discernement, conseil, force, connaissance, crainte du Seigneur et piété. Ils correspondent aux attributs de la Sagesse elle-même (Proverbes 8,12-14). En d’autres termes, le roi acquiert l’habilité à devenir la figure concrète de la divinité dans le monde, son représentant en quelque sorte.

Ces dons permettent au roi d’exercer une forme de justice correspondant au regard divin et à la manière dont la divinité juge comme l’illustre ce passage du premier livre de Samuel :  Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1 S 16,7). Il s’agit de remplir sa mission comme le révèle ce passage du livre des Nombres : « Là, je descendrai pour te parler, et je prendrai une part de l’esprit qui est sur toi pour le mettre sur eux. Ainsi ils porteront avec toi le fardeau de ce peuple » (Nombres 11,17). Pour Isaïe, le roi idéal ne se comporte pas en autocrate narcissique, mais cherche avant tout à faire fructifier les relations communautaires vivifiantes où personne n’est laissé de côté.

Selon le prophète, la mise en œuvre de cette justice favorise la construction d’un meilleur monde où les opposés coexisteront pacifiquement (Is 11,6-9). Cette espérance lointaine peut apparaître chimérique puisque cet oracle s’inscrit à la suite de l’invasion terrible par les Assyriens des royaumes voisins. L’horizon s’assombrissait et tout espoir semblait perdu devant l’inexorable avancée des troupes. Isaïe souligne que, malgré les apparences, l’exercice de la justice par le roi favorise la transfiguration du monde où la bienveillance et la compassion deviennent la norme. Il s’agit d’un renversement complet de la situation.

L’espérance d’un bon gouvernement

Le psaume favorise également une autre facette de cette espérance : celle d’« un bon gouvernement ». Essentiellement, le roi, par sa pratique de la justice, assure les conditions pour que chaque être puisse vivre dignement (versets 12-13). Un tel exercice se répercute  non seulement sur les sociétés humaines (v. 8), mais sur l’ensemble du cosmos. Bien que le verset ne soit pas mentionné dans la liturgie de ce dimanche, dans l’esprit du psaume, la justice du roi garantit la fécondité de la terre : « Que la terre jusqu'au sommet des montagnes soit un champ de blé : et ses épis onduleront comme la forêt du Liban ! » (v. 16).  Autrement dit, vivre selon le mouvement du souffle divin génère l’abondance. C’est le rêve d’une société où la disette était chose courante. La luxuriance devient le signe d’un monde réconcilié, d’une utopie pleinement réalisée (Apocalypse 7,16-17 ; 22,2).

Il est également intéressant de constater que la réalisation de véritable paradis résulte d’une coopération étroite entre la divinité et l’humanité. Celle-ci n’est pas passive, en attente d’une intervention divine résolvant ses problèmes, mais demeure active dans l’élaboration d’un monde pleinement empathique et rempli de compassion. Cela s’effectue par l’accueil et l’intégration du mouvement de la vie par l’humanité. Cette dynamique l’oriente sur des chemins inédits ouvrant à de nouvelles possibilités matérialisant l’espérance de Dieu dans sa foi en l’humanité.

L’espérance comme chemin d’harmonie

Dans sa lettre à la communauté romaine, Paul débute par l’espérance octroyée par les Écritures. Or, cette espérance sert de socle, de moteur dans l’unité des membres de la communauté. Deux composantes se vouaient réciproquement aux gémonies. Or, l’espérance ne correspond pas qu’à un sentiment, mais se forge peu à peu, certes dans les aléas et fragilités humaines, dans les actions posées par les membres de la communauté, ne serait-ce que par la prière commune (versets 6-7). Cette dernière s’inspire de l’attitude du Christ accueillant les personnes peu importe l’origine ou la religion (voir Marc 7,31 ou la vision en Actes 10,12-15). Juifs ou païens, ils partagent tous en commun la miséricorde divine.

Le passage de ce dimanche dévoile comment l’humanité peut trouver une harmonie réelle, non par l’homogénéisation, mais par la pluralité des voix qui se reconnaissent mutuellement comme une seule et même famille cimentée par le Christ. Pour Paul, les communautés chrétiennes évangélisent littéralement par leur capacité à vivre l’unité dans la diversité. Elles révèlent alors que tout clivage social, politique, économique ou religieux masque l’appartenance foncière de chaque personne à l’humanité. Sans doute, est-ce une des dimensions les plus importantes que promeut le christianisme. C’est peut-être l’une des plus grandes révélations que les traditions chrétiennes portent en leur sein.

L’espérance comme raz-de-marée du changement

La péricope évangélique de ce dimanche traite davantage de l’espérance bien synthétisée dans les formulations matthéennes où l’espérance d’une figure bienveillante transforme le monde en faveur des personnes exclues. À cet égard, Jean le baptiseur reprend les attributs classiques du prophète (2 Rois 1,8 ; Za 13,4). Le prophète biblique se distingue avant tout non comme une personne prédisant l’avenir, mais comme celle qui discerne le présent et qui y dégage les éléments qui font obstacles ou qui facilitent la vie des gens marginalisés (Amos 8,1-4 ; Is 1,10-17). C’est dans cette perspective que peuvent être lus les versets suivant où Jean dénonce avec véhémence les pharisiens et surtout les sadducéens [4]. Par sa diatribe, Jean dénonce l’assujettissement exercé et rappelle l’idéal d’une communauté humaine équitable et égalitaire.  

Ce passage, aux images apocalyptiques, peut aussi illustrer la force de l’espérance : dans certaines circonstances, elle fait naître un mouvement irrépressible qui transfigure le monde dans une direction insoupçonnée et qui transforme une trajectoire mortifère en une possibilité de vie. Une catastrophe inversée, une « eucatastrophe » en quelque sorte. De tels retournements, certes rarissimes, surgissent sans aucune anticipation manifeste. C’est parfois même au cœur de l’abîme que peut surgir l’espérance, et du mouvement collectif qu’elle imprime un meilleur monde.

 L’espérance comme posture

Généralement, l’espérance est perçue avant tout comme un sentiment opposé au pessimisme. Or, l’espérance se définit plutôt comme une posture qui a intégré au cœur de l’expérience le désespoir : « avoir perdu tout espoir et toute superbe, s’être confronté aux limites de sa volonté, avoir vu son intelligence se faire humilier par le chagrin, et comprendre que le salut est de s’abandonner en devenant un cœur vide qui ne demande plus rien pour lui-même et choisit juste la vie.  Il s’identifie alors à cette énergie qui reste quand il ne reste plus rien. Elle suffit pour renaître [5]. »

 L’espérance – les textes de ce dimanche le rappellent – se heurte en premier lieu à la souffrance [6]. Elle ne constitue nullement une fuite dans une quelconque rêverie, mais représente un moteur actif pour incarner et consolider ce qui existe déjà et porte un souffle de vie au cœur du présent comme le révèle l’évangile de ce dimanche [7].

Cela débute fréquemment par un geste qui peut sembler banal : se faire baptiser. Si ce geste est associé à notre époque comme uniquement religieux, il comporte également une dimension sociale et politique : il symbolise l’accueil et la participation à un mouvement de renouveau et à un changement de paradigme exprimé dans l’image du « Royaume des Cieux ». Loin d’être un geste strictement individuel, le rite baptismal incorpore l’aspect communautaire et collectif en mettant l’accent sur la dimension relationnelle inhérente à toute personne. Dans cette optique, l’espérance se vit essentiellement de manière collective où elle donne des mains pour changer et faire évoluer les structures sociales, les institutions et les divers systèmes qui nous entourent et dont nous sommes héritières et héritiers.

C’est par cette dimension collective que l’espérance prend alors tout son sens :

« L’espérance est la certitude que quelque chose est déjà là, même si les événements semblent donner tort à celles et à ceux qui annoncent un progrès, c’est-à-dire une évolution positive inévitable et irréversible. L’espérance confère cette plénitude parce que, dans l’espérance, je n’attends rien pour moi-même, mais suis déjà exaucé, quelles que soient par ailleurs les insatisfactions de ma vie. L’espérance n’a rien d’empirique ni de contingent, même si elle rejaillit sur tout mon être, aiguise mon attention et m’allège.

[…] L’espérance est ce point de contact entre la vie que l’on a, en un lieu et un temps particuliers, et l’intrigue qui se noue dans l’intimité du rapport qu’un sujet a avec lui-même et avec l’infini. On peut nommer cet infini Dieu ou faire référence au monde commun qui est composé de l’ensemble des générations ainsi que du patrimoine naturel et culturel et forme une transcendance dans l’immanence. Dans l’espérance, je ne suis pas ce moi isolé qui cherche à accomplir telle ou telle chose, mais prend place dans un temps et un espace plus vastes et presqu’illimités. Cela ne veut pas dire que je me fonde dans le tout ni que j’oublie qui je suis. Au contraire, l’espérance est ce point de rencontre entre le fini et l’infini, exige que je me connaisse moi-même et que je sache ce que je souhaite accomplir en ce monde [8] ».

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Patrice Perreault a travaillé pendant longtemps en milieu paroissial. Il est maintenant impliqué dans divers groupes communautaires à Granby.

[1] À l’époque, sans soutien de la famille, les veuves et les orphelins étaient acculés à la plus misère la plus abjecte. Voir Ex 22,21-23.
[2] On y retrouve les sept dons de l’Esprit formulés dans la tradition catholique.
[3] Les pharisiens sont avant tout un mouvement apparu au second siècle avant notre ère. Il vise à mieux vivre l’idéal de la Torah dans la vie quotidienne des gens. Dans Matthieu, les accusations envers les pharisiens résultent d’abord de l’anathème formulé contre les chrétiens en 90. Sur plusieurs aspects, le mouvement des pharisiens et celui de Jésus partagent bien des synergies. Voir la recension de Sylvain Campeau, Les pharisiens et l’histoire, (consulté le 27 septembre 2025). Les Sadducéens quant eux représentent davantage l’aristocratie des classes socioéconomiques favorisées. Voir Sébastien Doane, « Sadducéens », (consulté le 27 septembre 2025).
[4] Corinne Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, Rivages (Bibliothèque), 2023, pp. 17-19.
[5] Corinne Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, Rivages (Bibliothèque), 2023, pp. 17-19.
[6] Corinne Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, p. 4.
[7] Corinne Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, p. 13.
[8] Corinne Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, pp. 19-20.

Source : Le Feuillet biblique, no 2911. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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