Jésus guérit les aveugles et les boiteux sur la montagne. James Tissot, 1886-1896.
Aquarelle opaque et graphite, 17,1 x 23,3 cm. Brooklyn Museum, New York.

Des repères pour l’attente

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | 3e dimanche de l’avent (A) – 14 décembre 2025

Jean le Baptiste et Jésus : Matthieu 11, 2-11
Les lectures : Isaïe 35, 1-6a.10 ; Psaume 145 (146) ; Jacques 5, 7-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Certaines attentes versent dans la fébrilité et l’anxiété, d’autres dérivent vers l’exaspération. La liturgie de ce troisième dimanche, en plus de nourrir notre espérance, nous convie à ancrer celle-ci dans la joie, le souci des petits et des pauvres, et la patience. Mais ce n’est pas tout d’attendre. Il faut savoir qui nous espérons, car il y a messie et Messie. Les textes d’aujourd’hui nous proposent également des critères pour discerner les traits de Celui vers qui nous porte inlassablement notre désir, même si nous croyons fermement qu’il se trouve déjà, et pour toujours, « avec nous » (voir Mt 1,23 ; 28,20).

Lire ensemble la vie et les Écritures

L’Évangile nous montre un Jean Baptiste quelque peu perplexe par rapport à Jésus ; il correspond si peu à son image préconçue du Messie. Il envoie ses délégués tirer les choses au clair. Ceux-ci reçoivent pour toute réponse une évocation de divers versets d’Isaïe [1] que Jean devra interpréter en relisant ensemble ce prophète et le parcours du Nazaréen. Alors, les ressemblances lui sauteront aux yeux et il pourra attester qu’il avait bel et bien pointé (Mt 3,14) celui qu’annonçaient les Écritures, c’est-à-dire le libérateur des petits, des malades et des pauvres dont les gestes confirment la proclamation de la Bonne Nouvelle (v. 5). À nous aussi, la relecture de nos vie à la lumière de la Parole de Dieu ouvre la voie à la reconnaissance de Jésus.

Là où on ne l’attendait pas

Certains, qui guettaient l’arrivée d’un homme fort venu rétablir l’ordre ou encore l’avènement d’un personnage prestigieux, tomberont peut-être à la renverse en découvrant le Messie dans la proximité des plus vulnérables. Comme le dit Jésus, ils « chuteront » (v. 6) en le rejetant ou en allant à l’encontre de sa mission de libération. Heureux et heureuses, pourtant, ceux et celles qui oseront emboîter le pas à ce Sauveur au style déconcertant !

Les envoyés de Jean repartis, Jésus s’adresse maintenant aux foules et il les interroge sur leur perception du baptiseur et sur leur motivation à aller le voir : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert?» (v. 7). Il suggère même des réponses à sa question. Si les deux premières (v. 7.8) peuvent nous paraître saugrenues, elles pointent néanmoins certaines de nos dérives. Trop souvent, nous consacrons notre temps et notre attention à de futiles roseaux agités par le vent. Ou bien, nous nous laissons éblouir par les apparences raffinées des personnes ou par leurs possessions extravagantes. La troisième suggestion (v. 9), enfin juste, mérite un développement. Prophète en effet, Jean est aussi la « voix » […] qui crie dans le désert » annoncée par Isaïe (Mt 3,3 ; Isaïe 40,3). Mais également, paradoxalement, Jésus le déclare à la fois plus grand et plus petit. Plus grand que tous les autres humains, car il est le dernier des prophètes, celui qui a directement désigné le Seigneur. Plus petit que le plus petit du Royaume de Dieu, car il appartient à l’Ancienne Alliance, qu’il clôt.  

La vie en rose

Le texte de Matthieu, on l’a vu, renvoie à plus d’une reprise à Isaïe [2], le prophète par excellence de l’espérance messianique. Pas étonnant, alors, qu’on puise dans son livre les premières lectures des liturgies dominicales de l’Avent. Le texte d’aujourd’hui s’ouvre (v. 1-2a) sur une exhortation à la joie adressée à des terres arides. Cela pourrait-il nous inspirer des manières de rayonner dans une généreuse et exubérante fécondité ? D’ajouter un peu de rose à la grisaille des jours ? Ce serait à propos en ce dimanche de la joie, un des deux seuls de l’année qui élit le rose comme couleur liturgique [3]. La suite du verset 2 explicite la raison de se réjouir : dès maintenant, le pays retrouve sa gloire perdue durant la douloureuse période de l’exil à Babylone. Du coup, son éclat retrouvé et l’honneur de ses habitants restauré rendront visible la splendeur du Seigneur Dieu.

Envoyés en mission

Aux versets 3-4, le texte passe à la deuxième personne du pluriel. Identifions-nous à ce « vous » à qui il s’adresse et qui reçoit la mission de se tourner vers les autres, les plus vulnérables ou les plus effrayés, pour les soutenir et les encourager en gestes et en paroles. Les duretés de l’exil pouvaient certes faire fléchir quelques genoux ; pareillement de nos jours, les crises qui s’accumulent finissent par saper le moral. Mais, autrefois comme maintenant, Dieu vient, il arrive (v. 4). Sa vengeance défie les idées préconçues en s’exprimant comme une promesse de salut : il « va vous sauver ».

Rentrer chez soi

Les premiers bénéficiaires de ce temps béni du salut seront les aveugles, les sourds et les boiteux, ceux-là mêmes qui font l’objet des soins de Jésus dans l’Évangile de ce jour. Ils rentreront chez eux après un long exil en terre étrangère.

Le dernier verset du texte (v. 10) nous projette au temps de leur arrivée à Jérusalem. Les tourments font place à la joie. De quels exils, de quelles errances espérons-nous, pour notre part, être libérés ? Comment Dieu nous ramènera-t-il à notre vrai « chez nous » ? Par notre confiance en celui qui vient à Noël ? Par notre engagement pour la justice et par notre solidarité avec les plus pauvres ? N’oublions pas de compter parmi eux sœur notre mère la terre qui, comme le disait le pape François dans son encyclique Loué sois-tu, « crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle » (§2).

Le Seigneur libérateur

Le Psaume 145 prolonge la réflexion proposée par la première lecture. Cette fois-ci, ni promesses ni exhortations, mais des déclarations bien affirmées. Les quelques versets retenus par la liturgie répètent sept fois le nom du Seigneur en décrivant ses nombreuses œuvres de libération. Comme chez Isaïe et comme dans l’Évangile, les petits et les pauvres sont les privilégiés de la bienveillance divine.

Patience, il vient !

L’auteur de la lettre de Jacques, dont est tirée la seconde lecture, ajoute à la joie et au souci des pauvres encore une autre attitude à adopter durant l’attente : la patience. Cette vertu devient particulièrement pertinente lorsque le temps s’étire et que la tentation de tout lâcher s’insinue dans les cœurs. Comment « tenir ferme » (v. 8), alors ? Pragmatique comme toujours, Jacques donne l’exemple du cultivateur (v. 7) qui doit s’ajuster aux rythmes de la nature. De même, la progression du Royaume de Dieu échappe à notre contrôle. La patience s’incarne dans des attitudes pratiques comme la bienveillance et la tolérance exercées envers les frères et sœurs (v. 9). Elle s’appuie sur la conviction que « la venue du Seigneur est proche » (v. 8). Les prophètes, tout comme les saints d’hier et d’aujourd’hui, peuvent nous enseigner diverses voies de persévérance (v. 10).

L’Avent, temps béni

Attendre celui qui est déjà venu n’est pas un jeu, mais une occasion d’approfondir notre espérance. En ce temps béni de l’Avent, nourrissons-la par la fréquentation des Écritures. Faisons-la gagner en densité par des engagements concrets pour bâtir le Royaume. Donnons-lui des ailes — roses peut-être ? — en optant pour la joie. Affermissons-la en nous exerçant à la patience. Oui, car la venue du Seigneur est proche (Jc 5,8).

Anne-Marie Chapleau, bibliste retraitée au Saguenay, était formatrice au diocèse de Chicoutimi.

[1] Is 26,19 ; 29,18 ; 35,5 ; 42,7.18 ; 61,1.
[2] Il faudrait parler ici non pas d’un seul Isaïe, mais d’au moins deux sinon trois. Le premier Isaïe a vécu au temps d’Ozias, Achaz et Ézéchias, rois de Juda, et il a exercé sa mission vers 740-700 (voir surtout les chapitres 1-39).  Il a marqué son peuple au point que des écrits ultérieurs ont été réunis sous son nom, dans l’unique et très long livre d’Isaïe. Les deuxième (surtout chapitres 40-55) et troisième Isaïe (surtout les chapitres 56-65) sont reliés au temps de l’exil à Babylone (587 à 538 avant Jésus-Christ) et du retour d’exil. À noter cependant, que des textes relevant du 2e ou du 3e Isaïe, comme celui d’Is 35, peuvent se retrouver dans la première partie du livre.
[3] Le troisième dimanche de l’Avent et le quatrième du Carême, la teinte rose des ornements et des vêtements liturgiques éclaircit le violet de ces deux temps de pénitence et anticipe le blanc des fêtes de Noël et de Pâques où la joie éclate en plénitude.

Source : Le Feuillet biblique, no 2912. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation écrite du site interBible.org.

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