
La pêche miraculeuse. Raphaël, 1515.
Huile sur toile, 360 x 400 cm. Musée Victoria et Albert, Londres (Wikimedia).
Avancer vers la profondeur
Anne-Marie Chapleau et Francine Vincent | 13 janvier 2025
Une à une, de petites fenêtres s’ouvriront devant nous le 18 janvier prochain. Il s’agira en fait des figures des participantes et participants à notre session de récitatif biblique qui s’afficheront sur nos écrans. Nous serons heureuses de revoir les visages connus des habitués de la Semaine de la Parole, mais peut-être aurons-nous aussi la joie de faire connaissance avec de nouvelles personnes. Nous ? Deux biblistes ayant les pieds l’une à Brossard (Francine) et l’autre à Arvida (Anne-Marie), mais aussi deux amies heureuses d’animer ensemble cette session. Une bonne raison d’affirmer qu’en amitié, la distance n’a pas vraiment d’importance !
Comme toutes les fois où le récitatif se vit en ligne, la situation présentera quelques paradoxes. Nous nous inscrirons dans une tradition orale vieille comme le monde, tout en recourant à une technologie de pointe pour l’expérimenter. Nous pratiquerons une discipline spirituelle qui concerne le corps tout autant que la tête ou le cœur, mais ce sera en mode dématérialisé, sans pouvoir nous toucher ou nous voir en trois dimensions. Nous serons éparpillés au Québec, en Ontario, et peut-être même ailleurs au Canada ou au-delà des océans, mais nous formerons, le temps de deux rencontres de deux heures, une communauté récitante.
Oreilles ouvertes demandées !
Certains auraient pu douter que ce soit possible lorsque nous avons tenté l’expérience pour la première fois, pandémie de Covid oblige. Maintenant, nous sommes assurées qu’il se passera quelque chose. La Parole, plus que de conditions matérielles optimales, a surtout besoin d’oreilles prêtes à la recevoir pour accomplir son œuvre. Les oreilles ouvertes seront au rendez-vous, nous en sommes certaines. Au fil de l’apprentissage, par cœur et par le cœur, de précieux versets de l’appel des disciples dans l’Évangile de Luc (Luc 5,1-11), la Parole nous guidera vers la profondeur pour peu que nous osions la suivre. Oser ? Oui, parce que la descente en soi-même demande un certain courage. Simon pourrait en témoigner, lui à qui Jésus a lancé une invitation à avancer vers la profondeur et à laisser à nouveau descendre ses filets (Luc 5,4). Il avait connu le labeur d’une nuit de pêche décevante. Résignés, lui et ses compagnons lavaient leurs filets vides. Simon aurait bien pu envoyer promener ce curieux personnage qu’il connaissait depuis peu [1] et qui avait eu le culot de réquisitionner sa barque pour enseigner les foules. Il aurait pu, mais il a relevé le pari fou de la confiance : « Sur ta parole, je vais laisser descendre les filets. » Jusqu’ici, Simon se croyait peut-être toujours dans une histoire de pêche.
Oser la confiance nous aussi
Aucun risque que les personnes présentes les 18 et 25 janvier prochain s’attendent à capturer bientôt leur souper en cliquant sur le lien Zoom pour se connecter. Et gageons qu’aucune n’aura passé la nuit précédente en mer. Elles auront tout de même, comme Simon, à oser la confiance. Car on peut toujours, et encore plus dans une session « à distance », garder ses distances. Le récitatif biblique deviendrait alors un simple exercice de mémoire, un passe-temps quelque peu distrayant, comme peut l’être une partie de pêche quand on n’en dépend pas pour se nourrir.
Mais ensemble, nous miserons sur la confiance. Ensemble, nous laisserons descendre nos filets, sans savoir d’avance ce que cela provoquera. Nous serons peut-être dépassés par l’abondance des « captures » que nous ferons. Faisons le pari que nous revisiterons certains chapitres de notre vie, affronterons quelques doutes et nous poserons des questions. Nous descendrons en effet en nous-mêmes, comme Pierre avant nous. On ne peut espérer suivre Jésus sans descendre de temps en temps en ce lieu sacré où la Parole nous révèle à nous-mêmes en toute vérité. Simon-Pierre en a été bouleversé ; il a même senti l’effroi l’envahir. Il s’est reconnu limité et pécheur, indigne de côtoyer celui qu’il avait tout d’abord appelé « chef » (v. 5), mais qu’il reconnaissait maintenant comme son Seigneur (v. 8). Sans tarder, Jésus lui a dit : « Ne crains pas ; dès maintenant, ce sont des humains que tu prendras. » C’est en ce lieu même où notre égo jette du lest et accepte sa fragilité, que Jésus nous appelle pour sa mission.
Conclusion
Il est difficile de prévoir ce qui se passera lors de notre descente, à la fois personnelle et collective, dans la profondeur des Écritures et de notre vie. Bien malin est celui ou celle qui pourrait le dire maintenant avec précision.
Tout comme les disciples ont abandonné sur le rivage leurs barques devenues inutiles (v. 11), nous serons invités, par l’apprentissage du récitatif biblique, à dépasser la métaphore de la pêche. Si la pêche permet à ceux qui la pratiquent de gagner leur vie, elle a bien quelques désavantages pour les poissons ! Cependant, la mission ne consistera pas à prendre au piège des humains, mais au contraire, dans un de ces paradoxes dont l’Évangile a le secret, à les « capturer vivants [2] » pour leur faire découvrir la liberté du Christ.
Alors, qu’attendons-nous pour embarquer, risquer ensemble la descente dans la profondeur et avancer vers plus de liberté ?
Francine Vincent est agente de pastorale au diocèse de Saint-Jean-Longueuil et Anne-Marie Chapleau a travaillé longtemps comme bibliste au centre de formation du diocèse de Chicoutimi.
[1] Voir Luc 4,38-39.
[2]
Sens littéral du verbe grec « prendre » du verset 10.
