Les disciples d’Emmaüs avec un couple. Icône écrite en 2010 par sœur Marie Paul Farran
(reproduite ici avec l’autorisation des Bénédictines du mont des Oliviers).

Jésus s’approche et fait route en nous

Jeanine Deshaies RoyJeanine Deshaies Roy | 9 juin 2025

Les évangiles du temps pascal jusqu’à la Pentecôte nous offrent des manières concrètes de rencontrer le Christ, le Ressuscité sur nos routes et de le laisser entrer dans notre sanctuaire intérieur. Par exemple, dans le texte des disciples d’Emmaüs en Luc 24,13-35, nous retrouvons Cléophas et son ami(e) sur le chemin vers Emmaüs.

Qu’en est-il pour nous aujourd’hui? Si la rencontre se fait sur le chemin d’Emmaüs, de quel chemin parle-t-on ici ?

Sur le chemin d’Emmaüs

Selon Bossuyt et Radermakers, Luc nous présente le récit d’Emmaüs comme un cheminement intérieur de la personne grâce auquel, à partir de l’Annonce du Vivant, on pourra palper la présence du Ressuscité parmi ses témoins. Les auteurs ici parlent « d’itinéraire à parcourir pour reconnaître une présence, et non le fait de voir une personne. On peut donc parler d’une catéchèse déployant le chemin quotidien de la reconnaissance de Jésus « Vivant » parmi nous [1]. »

Mais que veut dire au juste reconnaître Jésus vivant parmi nous? Qu’avons-nous à déconstruire pour reconstruire autrement?

Pourquoi ne s’agit-il pas d’une apparition de Jésus sur nos chemins?

Si la localisation précise d’Emmaüs nous échappe, peut-on considérer le sens autrement que géographique? C’est précisément dans la géographie de notre corps que les récitatifs bibliques nous invitent à le situer dans notre sanctuaire intérieur. La gestuelle du récitatif fait passer nos mains à plusieurs reprises de gauche à droite, comme si on n’arrivait pas à se centrer lorsqu’on est en questionnement, exactement de la même manière que l’ont fait Cléophas et son ou sa camarade de route.

Que font-ils? Ils sont en train de déconstruire leurs attentes du Messie, d’un Dieu puissant. Ils feront connaissance avec le Dieu de la rencontre sur leur route, au même niveau qu’eux-mêmes, au milieu de leur questionnement sur le Dieu de leurs attentes. Et le Christ leur fera faire le pas nécessaire pour changer de perspective.

De la même manière que les disciples d’Emmaüs laissent Jésus entrer dans leur conversation, de la même manière Jésus se fait présent dans nos questionnements et marche avec nous. « Jésus en personne s’approcha et il faisait route avec eux. [2] » (v. 15b)

Qu’avons-nous à déconstruire en nous pour vivre une rencontre en Vérité?

La déconstruction se fait dans nos propres attentes, notre idéologie personnelle, nos propres décisions égoïstes, sans percevoir la présence du Christ dans nos espaces de vie. Autrement dit, je déconstruis toute perception de mon égo sur la réalité de Dieu et du Christ. Et je me laisse dire par le Dieu de Jésus-Christ : « Ô cœurs insensés et lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire? [3] » Et là, l’Esprit Saint agit à son heure et en son temps, mais toujours pour actualiser la présence du Christ au cœur de chacun de nous.

Selon Bossuyt et Radermakers, « l’essentiel ici est la présence du ressuscité qui se donne à reconnaître dans ce que l’on vit. » C’est une vraie rencontre intérieure avec le Ressuscité dont il s’agit ici, quelque part dans notre vie, sur notre chemin de tous les jours, dans nos cœurs et en plein dans la déconstruction de toutes nos attentes. Et c’est là, qu’on reconnaît la présence d’une rencontre intérieure avec le Ressuscité tout comme l’ont vécu les disciples d’Emmaüs. « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous quand il nous parlait en chemin, quand il nous ouvrait les écritures [4]. » C’est plus qu’une simple « annonciation », c’est de l’ordre d’une prise de conscience que le Christ est présent non seulement dans notre vie, mais également dans celle des autres qui veulent bien l’entendre, le recevoir, le découvrir dans les Écritures.

Quand Jésus lui-même rompt le pain

L’aboutissement de ce récit est le repas suite à l’insistance des disciples à inviter l’autre voyageur : « Reste avec nous car le soir vient et déjà le jour baisse [5]. » Jésus vient vivre avec nous. Bossuyt et Radermakers affirment : « La foi ne se nourrit pas seulement de paroles, mais aussi d’une présence. » Jésus nous donne l’opportunité non seulement de nous unir à Lui, mais Il s’unit également à nous, Il participe à tout ce que nous vivons parce qu’Il choisit de s’attabler avec nous.

« Et leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent [6]. »

Luc ne dit pas que les disciples voient Jésus mais plutôt que lorsqu’ils prennent conscience de sa présence, Il devient invisible de devant eux [7]. » Bossuyt et Radermakers précisent :

« Il (Jésus) écoute ce que nous vivons et en révèle le sens. L’écouter à notre tour et surprendre sa présence à notre cœur brûlant, c’est entrer réellement dans la communion à son destin, recevoir son Esprit Saint, et se laisser guérir intimement. Cette communion ne réduit pas la distance, mais elle permet de la vivre dans la paix; nous y discernons, en effet, combien il respecte nos volontés, auxquelles il a voulu être livré [8].

Conclusion

À la question : de quel chemin s’agit-il dans le récit des disciples d’Emmaüs? Luc a la sagesse de nous diriger vers le cœur des disciples. Les gestes clés du récitatif se produisent au centre de la personne, au cœur de son histoire. Le chemin d’Emmaüs est donc le temps d’une vie où Jésus nous attend à chaque détour, défi ou déconstruction de nos propres attentes pour accueillir la vie de l’Esprit Saint de Dieu en nous. Avec Lui en nous, se poursuit la route de communion à l’humanité.

L’acte de réciter et de gestuer en mélodiant le texte biblique des disciples d’Emmaüs avec tout le corps, fait naître en nous une forme d’élévation de l’âme jusqu’à permettre une union eucharistique dans la vérité de foi au Christ, le Ressuscité. Ainsi, son Esprit Saint continue de nous embraser de sa personne à chaque questionnement.

« Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans-de nous… »

Jeanine Deshaies Roy (M.A) est spécialisée en counseling individuel. Elle est intervenante psychospirituelle et accompagnatrice à l’ACRB.

[1] Bossuyt et Radermakers, Jésus Parole de la Grâce, selon saint Luc, Éditions Institut d’Études théologiques, 1981, p. 516.
[2] Traduction Louise Bisson 1989.
[3] Luc 24,25s traduction Louise Bisson 1989.
[4] Luc 24,32 traduction Louise Bisson 1989.
[5] Luc 24,29b traduction Louise Bisson 1989.
[6] Luc 24,31 traduction Louise Bisson 1989.
[7] Bossuyt et Radermakers, Jésus Parole de la Grâce, selon saint Luc, p. 522.
[8] Bossuyt et Radermakers, Jésus Parole de la Grâce, selon saint Luc, p. 523.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.