Dieu répond à Job. William Blake, 1805.
Plume et encre noire, lavis gris et aquarelle, sur traces de mine de plomb. The Morgan Library, New York (Wikipédia).

8. Les discours de Dieu

Hervé TremblayHervé Tremblay | 28 octobre 2024

Connaître le livre de Job est une série d’articles où Hervé Tremblay nous introduit à un genre littéraire singulier et à une œuvre qui se démarque dans la grande bibliothèque qu’est la Bible.

Lire Job 38,1 – 42,6

Enfin, dira-t-on, enfin! Pendant longtemps, Dieu a été le grand absent ou l’inactif du livre de Job. On a beaucoup parlé de lui, on lui a beaucoup parlé, mais celui-ci est resté complètement muet, totalement silencieux. On a eu beau l’insulter, le prier, dire ceci ou cela sur lui, pas un mot! Mais après le dernier défi de Job, après que Job ait affirmé qu’il n’avait plus rien à dire et qu’il se tairait en attendant ce que Dieu allait répondre (voir la chronique sur Jb 29–31), il semble bien que Dieu n’ait plus le choix et qu’il devait parler. Maintenant, Dieu répond.

Rappelons, encore une fois, le plan du livre afin que l’on voie mieux où se situent les discours de Dieu.

  • Prologue en prose (1–2)
  • Trois cycles de dialogues en vers entre Job et ses trois amis (3–31)
  • Discours en vers d’Élihu (32–37)
  • Discours en vers de Dieu (38,1–42,6)
  • Épilogue en prose (42,7-17)
  1. Le texte précise que Dieu choisit de se manifester et de parler « du milieu de la tempête » (38,1). Il faut bien comprendre ce que cela signifie à deux niveaux.

    • D’une part, il ne s’agit plus d’un dialogue, comme dans les autres parties du livre, mais d’un long monologue. Le monologue auquel on va assister n’est pas serein ou tranquille. Dieu est fâché, sa voix est comme celle du tonnerre ; il se manifeste dans les éclairs. Dans ce cadre, le lecteur peut anticiper que Dieu ne sera sans doute pas tendre envers Job. Et en effet, Dieu lui donne comme un coup de massue. Il l’assomme sous une série de questions auxquelles il ne peut pas répondre ; Dieu lui lance un défi qui n’est pas à sa mesure. D’aucuns diraient que Job ne l’a pas volé!
    • D’autre part, la tempête évoque la présence cachée, le mystère ou la révélation. On n’a qu’à penser au mont Sinaï lors de l’alliance et du don de la Loi dans le livre de l’Exode (Ex 19–24). Le lecteur peut donc s’attendre à ce que les discours de Dieu révèlent un mystère ou dévoilent quelque chose de cachée.

    Critique littéraire

    S’il est vrai que l’introduction et l’épilogue en prose constituent le conte ancien initial qui a servi de base aux parties en poésie, ce conte contenait déjà très probablement des paroles de Dieu à Job, puisqu’elles semblent supposées en 42,7. Il est donc possible que l’auteur ait développé des discours préexistants. Cela expliquerait pourquoi il y a deux discours divisés par deux réponses de Job (40,3-5 et 42,1-6) : un discours plus long (38 + 39 + 40,1-5) et un autre plus court (40,6-14 + 42,1-6). Cela donne le tableau suivant :

    Premier discours de Dieu (38,1–40,2) :

    • 38,1 Introduction.
    • 38,2 Question : « Qui est celui qui obscurcit mes desseins par des discours sans intelligence? »
    • 38,3 Ordre de Dieu : « Je vais te questionner et tu me répondras ».
    • 38,4–39,30 Discours avec quatre thèmes : 1) La création du monde (38,4-21) ; 2) Le gouvernement du monde (38,22-38) ; 3) Le souci des animaux (38,39–39,4) ; 4) Exemples de différents animaux (39,5-30).
    • 40,1-2 Question qui appelle une réponse de Job.
    • Première réponse de Job (40,3-5) : Job se tait (« il met la main sur sa bouche ») et ne s’explique pas. L’aurait-il voulu, qu’il n’aurait pas pu. C’est exactement le contraire de ce qu’il avait fait dans les cycles de dialogues.

    Deuxième discours de Dieu (40,6–41,26) :

    • 40,6 Nouvelle introduction
    • 40, 7 Même ordre de Dieu qu’en 38,3 : « Je vais te questionner et tu me répondras ».
    • 40,8-14 Quatre questions de Dieu (v. 8-9) ; Dieu met Job au défi de le remplacer pour son œuvre de rétribution.
    • Deux longues descriptions d’animaux monstrueux : Béhémot = l’hippopotame du Nil (40,15-24) et Léviathan = le crocodile (40,25–41,26). On s’interroge sur leur fonction dans l’ensemble. Ces deux animaux acquièrent probablement une valeur mythique et symbolisent ce que l’humain ne peut pas maîtriser.
    • Deuxième réponse de Job (42,1-6). Le v. 4 a été considéré comme une addition hors contexte parce qu’ils répètent 38,2 et 40,7b.

    Contenu des discours de Dieu : un Dieu hors du système

    Dieu se pose comme le tout autre. Ses discours transportent le débat du plan humain au plan divin.

    Le principe de rétribution brisé

    Comme nous l’avons déjà noté, Job et ses amis sont complètement enfermés dans le principe de rétribution (sans doute aussi parce qu’il n’y avait pas vraiment d’alternative).

    • Job a constamment clamé son innocence et s’est toujours dit certain que Dieu la reconnaîtrait. Selon le principe de rétribution, il aurait donc dû recevoir les bénédictions divines sur terre. Comme ce n’est pas ce qui lui arrivé, au contraire, Job en conclut que ses souffrances imméritées prouvent que Dieu n’est pas juste.
    • On voit que Job dicte ses termes à Dieu et croit avoir des droits sur lui. « J’obéis à la loi, j’observe tous les commandements, donc Dieu me doit la récompense en biens terrestres. » Le satan avait bien raison d’avoir posé la question au début puisque Job, en fait, ne craignait pas Dieu pour rien (voir 1,9). En fin de comptes, Job n’est pas innocent du tout.
    • Ce principe de rétribution suppose une espèce de contrat entre Dieu et l’humain basé sur le paiement et l’achat, comme un homme d’affaires avec ses clients. « J’accomplis ta loi, tu me dois le bonheur. » Dans ce cas, on ne se situe plus dans une relation basée sur la liberté et le don ; on est dans une logique d’obligation, voire dans celle d’une machine distributrice : je mets un dollar, je reçois un sac de croustilles.
    • Dieu brise ce principe de rétribution et tout ce qu’il implique en se présentant comme le créateur de l’univers et de ses lois, celui qui a parti le système et qui le maintient par sa providence. Dieu affirme sa liberté absolue. Dieu n’est pas une machine de laquelle on peut attendre selon ce qu’on y a mis, mais un être libre en relation.
    • On a donc implicitement ici une redéfinition de la foi qui n’est pas un commerce mais d’abord confiance entre deux personnes.

    La sainteté de Dieu

    Dieu se présente comme le Tout-Autre, le Saint, c’est-à-dire complètement séparé et différent. Non seulement, il est le créateur qui a parti le système. Il n’a de comptes à rendre à personne.  Dans ce cas, il est illusoire de vouloir le comprendre de la manière humaine. Job a voulu soit rabattre Dieu à son niveau, soit plutôt s’élever au sien afin, dans les deux cas, de le regarder droit dans les yeux, d’égal à égal. Job a eu beau clamer son innocence, il a commis le péché de juger Dieu et de se déifier lui-même en se posant comme l’absolu autour duquel tout le système devrait tourner. C’est ce que Dieu fait comprendre à Job en lui demandant où il était quand il créait l’univers ou s’il lui a donné des conseils. Dieu n’est pas à comprendre, ni encore moins à contrôler, mais à adorer et à prier.

    Un Dieu hors du système

    Essentiellement, ce que Dieu dit, c’est qu’il ne fait pas partie du système dans lequel Job et ses l’amis l’ont placé. Il n’en est pas un rouage ou une partie, il n’en est pas un personnage. Il n’est simplement pas dedans.

    J’aime utiliser l’exemple d’un aquarium. Comme tout exemple, il n’est pas parfait mais il donne une bonne idée de ce qu’on veut expliquer. Dans l’aquarium, les poissons et les autres créatures font partie d’un système clos. Le propriétaire de l’aquarium en est extérieur ; il le regarde et en prend soin. Mais il n’est pas dedans avec les poissons. Ainsi en est-il du monde. Les humains font partie d’un système qui comprend la terre, les plantes, les animaux, les océans, la nature avec ses lois. Mais Dieu ne fait pas partie de ce système, il en est extérieur. Dieu en est le créateur et le maître absolu. C’est ce que Dieu rappelle brutalement à Job. « Je ne fais pas partie de ton système, j’en suis extérieur. De fait, c’est moi qui l’ai créé et le contrôle et le gouverne ».

    Dieu répond-il à Job? Dieu donne-t-il des réponses?

    On voit bien que l’auteur n’avait aucune intention de résoudre le problème du mal ou d’expliquer le gouvernement divin selon des façons de voir humaines. L’auteur voulait libérer Dieu de tous les systèmes humains emprisonnant dans lesquels il n’était qu’un rouage plus ou moins machinal ou impersonnel.

    Dieu ne répond donc pas à Job. Il n’apporte aucune réponse à ses questions sur la justice ou la rétribution ; il se sort simplement du système. Ce qui ressort de ces discours, c’est que Dieu ne se situe pas dans le même registre, voire dans le même monde ou le même système.

    Si Dieu ne répond pas à Job, donne-t-il quand même des réponses? Si c’est le cas, la seule réponse qu’il donne est qu’il est le créateur et le maître absolu qui n’a de comptes à rendre à personne.

    Réaction de Job

    Alors que la sainteté de Dieu l’écrase, comment Job se sent-il? Le texte affirme qu’il « met la main sur sa bouche » à savoir il admet qu’il a eu tort. Et c’est bien ce qu’il dit. « J’ai parlé de choses que je ne connaissais pas. » Les mots employés par Job pour qualifier son expérience sont bien choisis. « Je ne te connaissais que par ouï-dire », c’est-à-dire «  je ne te connaissais pas vraiment, pas personnellement ». Quand il affirme « Mais maintenant mes yeux t’ont vu », il y a une claire référence au célèbre texte d’espérance de Jb 19,25-27, dont nous avons brièvement parlé. Mais quel est le sens de cette référence? Ce n’est pas clair. Il semble bien qu’on doive comprendre combien la rencontre entre Dieu et Job a été profonde, intime et transformante. Loin d’en être écrasé ou annihilé, Job en perçoit tout le sens. Dieu n’est plus une machine dans mon système terrestre, il est transcendant et absolu mais il donne du sens à notre relation et à notre vie. Son choc avec le mystère ou l’absolu a été plus révélateur que destructeur.

    Dieu (ou le livre de Job) pouvait-il donner des réponses?

    Il faut bien se rendre compte des limites de l’auteur de Job en son temps. Tout le monde croyait au Shéol, ce lieu où tous allaient indistinctement, les bons comme les méchants ensemble. Le principe de rétribution en tirait toute sa force. Puisque justice ne se faisait pas dans l’au-delà, il fallait absolument qu’elle se fasse sur terre. L’alternative était insupportable : un Dieu injuste ou la vie humaine qui n’a pas de sens. Ces discours donnent aussi au problème central du livre la seule solution de l’auteur, celle du mystère du Dieu créateur.

    Cela appelle une réflexion sur la relation d’un livre biblique avec la révélation ultérieure. Ce qui est écrit est mort, tandis que la vie continue. La croyance dans le shéol a laissé la place bien plus tard à la foi en l’au-delà et en la vie éternelle, où justice serait rendue. Si on place le livre de Job écrit au 5e siècle avant notre ère dans ce contexte plus général de l’analogie de la foi, il peut acquérir un surplus de sens.

    Conclusion

    Le lecteur de Job peut rester sur sa faim ou se considérer insatisfait. S’il attendait des réponses claires, il ne les a pas eues. Il reste devant un mystère qu’il est invité à adorer ou à contempler, pas nécessairement à comprendre ou à maîtriser. Ce sentiment d’insatisfaction risque de se répéter encore dans l’épilogue en prose, que nous commenterons dans le prochain commentaire.

Hervé Tremblay est professeur au Collège universitaire dominicain (Ottawa).

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.