
La reine de Saba. Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
La sage reine de Saba
Anne-Marie Chapleau | 5 mai 2025
Lire 1 Rois 10, 1-13 et le récit parallèle en 2 Chroniques 9,1-13
Lire aussi Matthieu 12,42 et Luc 11,31
Dans la mythologie grecque, le Sphinx monte la garde à la porte de Thèbes et attend de pied ferme les visiteurs. Malheur à ceux qui ne savent pas fournir la réponse exacte à sa redoutable énigme ; il les dévore tout cru ! La reine de Saba [1], au contraire, voyage. Elle se déplace depuis sa lointaine contrée jusqu’à Jérusalem pour soumettre ses sibyllines questions au grand roi Salomon.
Ah, c’est que sa réputation est venue jusqu’à elle, une renommée « qui faisait honneur au Seigneur », précise le premier livre des Rois (1 R 1,1). Si Salomon, qui succède à son père David, se retrouve dans une position aussi enviable, c’est bien parce qu’il a répondu de la manière la plus judicieuse possible au Seigneur Dieu. Tout lui était offert (1 R 3,5) ; il a choisi de demander un cœur sachant gouverner avec discernement. Le Seigneur Dieu le lui a bien entendu accordé avec, en prime, comme confirmation de la justesse de sa prière, de multiples richesses.
La sagesse de Salomon avait été une première fois vérifiée dans la situation très concrète des deux prostituées qui se disputaient le même nourrisson (1 R 3,16-28). Il avait avec succès, pourrait-on dire, tranché la question [2]. Mais l’histoire de la reine de Saba manifeste que la perfection de son discernement devait encore être attestée par une personne dotée d’une sagesse au moins aussi pénétrante que la sienne.
Dans la Bible, la sagesse apparaît comme une figure féminine. Qui, mieux que cette souveraine dont le seul nom évoque l’exotisme et le mystère, aurait pu l’incarner ?
Le verdict de la reine de Saba
Elle pose donc ses questions à un Salomon qui ne défaille pas un instant. La reine peut donc rendre son verdict (v. 4-6). Elle a « vu » la sagesse du monarque, qualité qui, étant invisible, ne peut se contempler que dans la lumière de sa propre sapience. Et elle voit aussi les proverbiales richesses de celui qui règne à Jérusalem. Elle en augmente encore le lustre en y ajoutant de somptueux présents (v. 10). Serait-ce parce qu’elle considère ces richesses comme le pendant visible de la sapience du monarque ?
En suivant le fil des paroles de la reine
Mais ce n’est pas tout. La reine déclare heureux ceux qui vivent à l’ombre de cette sagesse (v. 8). La louange qu’elle exprime ensuite au Seigneur Dieu le désigne comme la source des bienfaits dont bénéficie Salomon. S’il l’a placé sur le trône d’Israël, c’est bien par amour pour celui-ci, pour lui offrir un dirigeant capable d’« exercer le droit et la justice » (v. 9). Si, à première vue, le lecteur peut avoir eu l’impression que la reine de Saba était venue de son lointain royaume pour satisfaire sa curiosité ou pour flatter l’égo d’un roi devenu célèbre, il comprend maintenant qu’elle remplissait en fait une mission de la plus haute importance : rappeler à Salomon sa propre vocation. C’est exactement là qu’aboutit son discours. La sagesse de Salomon, ses richesses, son accession au trône : tout cela est et doit être ordonné au service de son peuple, dans la droiture et la justice. C’est d’ailleurs la mission qui incombe à tout roi de Juda et d’Israël. Hélas, la plupart d’entre eux l’oublieront et mettront leur règne à leur propre service. Malheureusement, même l’incomparable sagesse de Salomon s’évanouira dans les brumes du passé lorsque, vers la fin de son règne, il tendra l’oreille à d’autres divinités qu’à l’unique Seigneur d’Israël (1 R 11). Il aurait été mieux avisé de garder en mémoire les derniers mots que lui avait adressés la femme sage qui l’avait visité.
Jésus en appelle à la reine de Saba
Jésus lui-même convoque à la barre des témoins, dans des versets presque identiques des évangiles de Matthieu et de Luc (Mt 12,42 et Lc 11,31), la reine de Saba. Elle a su faire preuve de clairvoyance en jugeant Salomon digne de son déplacement en grand apparat. La génération dont parle Jésus, au contraire, n’a pas osé déplacer son cœur vers lui, complètement aveugle à ce qu’il était. Qui, mieux que la reine de Saba pourra, au jour où tombent tous les masques, attester non pas leur sagesse, mais leur regrettable folie ?
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.
[1] Une figure plus ou moins légendaire. Les historiens cherchent encore à identifier l’endroit où se situerait Saba. En Éthiopie ? Au Yémen ? Rien n’est assuré.
[2]
Lorsque l’astucieux Salomon ordonne de trancher en deux l’enfant et d’en remettre la moitié à chacune des deux prostituées qui se le disputent, celle qui veut lui sauver la vie, quitte à renoncer à lui, est identifiée comme sa mère.
