
La femme de Téqoa. Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
La femme sage de Téqoa
Anne-Marie Chapleau | 1er septembre 2025
Lire 2 Samuel 14,1-24
L’histoire du roi David et de sa famille est si riche en intrigues et rebondissements que l’on pourrait sans peine y consacrer une saga télévisuelle en plusieurs saisons. Si de nombreux épisodes en sont archiconnus, d’autres demeurent enfermés dans ces pages de la Bible que l’on n’ouvre pas souvent.
Il est temps de faire sortir de l’oubli l’un de ces passages où une femme joue un rôle de premier plan. Comme bien d’autres personnages bibliques féminins, elle n’a pas de nom. Mais le texte la désigne par un qualificatif qui n’a rien d’anodin : c’est une sage.
Une sage en mission
Sa réputation de sagesse s’est sans doute rendue aux oreilles de Joab, neveu et général du roi David, puisqu’il l’envoie chercher dans sa bourgade de Téqoa, un village situé à environ 20 km au sud de Jérusalem. Il lui confie la mission quelque peu étrange d’aller trouver le roi en jouant le rôle fictif qu’il lui dicte. Elle accepte. Comme aucune rétribution ne lui est promise, on peut supposer qu’elle s’y engage parce qu’elle estime qu’il est juste et sage de le faire.
La voilà donc littéralement porteuse des paroles de Joab. Comme il le lui a demandé, elle se rend auprès de David en empruntant l’identité d’une veuve éplorée qui craint pour la vie du seul fils qui lui reste. L’histoire forgée par Joab — une rivalité entre deux frères qui pousse l’un à tuer l’autre — ressemble étrangement à celle de deux des fils de David racontée au chapitre précédent. Absalom a en effet tué son demi-frère Amnon parce que celui-ci avait abusé de sa sœur Tamar. Craignant la colère de son père David et des gens de sa maison, Absalom avait pris le chemin de l’exil. C’est à peu près aussi ce que la femme sage dit à propos de son fils survivant ; tout le clan s’est retourné contre lui et elle-même se fait harceler pour le leur livrer. Un homme en particulier semble la tourmenter. Elle appelle donc le roi à son secours et l’implore « afin que le vengeur du sang n’augmente pas la ruine » (v. 11) et pour que « le roi fasse donc des plans pour que le banni ne reste pas exilé loin de lui » (v. 14). Elle plaide en quelque sorte pour que David mette fin au cycle infernal de la vengeance et de la violence.
Comme le prophète Natân
À bien y penser, le stratagème conçu par Joab est une reprise de celui utilisé jadis par le prophète Natân (2 S 12,1-15) pour faire comprendre à David la faute qu’il avait commise en envoyant volontairement à la mort un de ses fidèles soldats, Urie le Hittite, pour camoufler le fait qu’il avait séduit son épouse Bethsabée (2 S 11). Natân avait raconté à David une parabole qui l’avait amené à s’identifier à la victime et à ressentir colère et indignation envers le coupable. Cette fois-ci, de nouveau, David se fait tendre un miroir dans lequel il peut lire les mouvements et inclinaisons de son propre cœur.
Fine mouche, ce David
On ne sait trop comment, Joab avait en effet compris « que le cœur du roi se tournait vers Absalom » (v. 1). C’est cette intuition qui avait été à l’origine de l’initiative de Joab.
David, qui n’est pas bête, en vient à soupçonner la vérité. Derrière la fiction servie par la femme, il reconnaît la dynamique qui se joue entre lui et son fils Absalom et il se doute que Joab pourrait y être pour quelque chose dans la venue de cette femme soi-disant mère d’un fils fratricide. Il lui demande donc carrément si elle est l’envoyée de Joab, ce qu’elle reconnaît sans détour.
Pour la première fois, peut-on supposer, la femme délaisse le scénario dessiné par Joab et parle à son propre compte. Ainsi, discerne-t-elle, convient-il d’agir quand on est sage. Elle ajoute à l’intention du roi un commentaire qui, s’il adopte quelque peu les allures d’une flatterie, contient tout de même une invitation, pour David, à puiser à ce qu’il y a de plus sage en lui : « Monseigneur a la sagesse de l’Ange de Dieu, il sait tout ce qui se passe sur la terre. » (v. 20).
David réagit comme l’avait espéré la femme, et à travers elle, Joab : il ordonne à ce dernier de ramener Absalom qu’il se garde bien toutefois de désigner comme son fils : « Ramène le jeune homme Absalom » (v. 21)
Absalom peut donc rentrer à Jérusalem, sans néanmoins que son père accepte de le rencontrer.
Violence et affliction
La femme sage de Téqoa, une fois sa mission accomplie, disparaît du récit. Joab de son côté, finira un jour par assassiner Absalom (2 S 18,14), au grand désespoir de David (2 S 19,2). Difficile parfois de suivre tous les méandres du cœur humain ! Les hommes de cette triste histoire auraient sans doute été mieux avisés de demander conseil à la femme sage de Téqoa au lieu de se laisser mener par leurs passions !
Anne-Marie Chapleau, bibliste retraitée au Saguenay, était formatrice au diocèse de Chicoutimi.
