
Noémie, Ruth et Orpa. Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
Orpa, l’autre belle-fille de Noémie
Anne-Marie Chapleau | 3 novembre 2025
Lire Ruth 1,1-18
Orpa est habituellement considérée comme un personnage secondaire du livre de Ruth [1]. La courte histoire racontée en quatre chapitres braque les projecteurs sur l’héroïne qui a donné son nom au livre : Ruth. Dès lors, on glisse vite sur ce qui concerne sa belle-sœur Orpa dont la présence, dans le texte, ne semble destinée qu’à la mettre en valeur, elle. Mais il est temps de projeter aussi de la lumière sur l’autre belle-fille de Noémie. À l’heure de la diversité et de la pluralité des expériences spirituelles et religieuses, son parcours se révèle des plus instructifs.
Dis-moi comment tu t’appelles et je te dirai qui tu es.
Les noms des personnages du livre de Ruth nous fournissent de précieux indices sur leur sort ou sur l’axe central de leur personnalité. Dès ses premières lignes, le livre de Ruth met en scène un couple de Bethléem, Élimélek et son épouse Noémie. Avec son nom qui signifie « Dieu est mon roi », on devine facilement qu’Élimélek appartient à une lignée de justes fidèles au Seigneur. De même, le nom de Noémie, « Ma douceur », suggère une personnalité agréable et bienveillante. Mais habiter la ville où naîtra un jour le roi David [2] ne garantit aucunement l’abondance. En effet, une disette s’abat sur la « Maison du pain [3] » et force le couple et ses deux fils à émigrer au pays de Moab, à l’est de la mer Morte [4] (v. 1).
Élimélek y meurt peu après (v. 3). Quant aux deux fils, ils semblent vouloir y refaire leur vie puisqu’ils y prennent femme (v. 4). Leurs projets d’avenir sont vite anéantis puisqu’ils meurent à leur tour prématurément (v. 5). Mais qui s’en étonnerait ? Avec des noms comme les leurs, Mahlôn (« Langueur ») et Kilyôn (« Fragilité »), ils ne pouvaient pas battre des records de longévité. Après leur descente au shéol [5], Noémie et ses deux belles-filles moabites ne peuvent plus compter que sur elles-mêmes pour survivre. Au pays de Moab comme partout au Proche-Orient ancien, le sort de veuves sans descendance demeure précaire.
Rentrer chez soi
Mais voilà que, le pain étant revenu dans sa Maison, en d’autres mots la famine ayant pris fin à Bethléem, Noémie estime venue l’heure de rentrer chez elle (v. 6). Sans trop y penser, elle emmène Ruth et Orpa avec elle vers les chemins menant aux terres de Juda (v. 7) [6]. Puis, soudainement, elle hésite, pense à l’avenir de ses brus. Elle les encourage à retourner à la maison de leur mère, les confie au Seigneur Dieu et les remercie pour leur bienveillance à son égard. Leur vie, fait-elle valoir, est parmi les leurs (v. 8).
Cette possibilité, déchirante, provoque leurs cris et leurs pleurs (v. 9.14). Elles la refusent tout net. (v. 10). Tout le monde sait que Ruth, l’« Amie », gardera fermement sa résolution d’accompagner chez elle sa belle-mère, au point de faire siennes sa terre et sa foi. Il ne pouvait en être autrement puisque ce livre a été rédigé pour défendre la thèse de la possibilité, pour une femme étrangère, de devenir une fidèle israélite par adoption [7]. Mais que fera Orpa ?
Tourner la nuque et assumer sa vie !
Orpa, elle, tourne finalement les talons… ou plutôt la nuque à sa belle-mère (v. 14). Elle accomplit ce que portait depuis toujours son nom qui se traduit en français par « Nuque ». Rien dans le texte ni dans la bouche de Néhémie ne déprécie cette décision. Au contraire, la femme de Bethléem en avait fait valoir la pertinence et la logique auprès de ses deux belles-filles ; elles auraient ainsi de meilleures chances de trouver un époux et de refaire leur vie (v. 13). Et, même après que Ruth eut pris sa décision, elle l’encourageait encore à suivre l’exemple de sa belle-sœur (v. 15).
Qu’en conclure ? Peut-être qu’il n’y a pas de manière unique de réussir sa vie, que plusieurs voies sont possibles, même si elles semblent contraires, que l’amour véritable, ici celui de Noémie, respecte avant tout la liberté de l’autre, son autonomie et sa capacité à faire ses propres choix. Et puis, tourner le dos ou la nuque à quelque chose, c’est aussi faire face à une autre !
Anne-Marie Chapleau, bibliste retraitée au Saguenay, était formatrice au diocèse de Chicoutimi.
[1] Le livre de Ruth est un ouvrage fictif dont l’action est prétendûment située au temps des Juges (avant la monarchie). Sa rédaction est cependant bien postérieure à cette époque et date vraisemblablement de la période perse ou grecque. La théologie de ce livre, ouverte aux femmes étrangères, fait contrepoids à celle des livres d’Esdras et Néhémie pour qui ces femmes représentent un grave péril religieux.
[2] David est en effet natif de Behléem et cette ville devient associée également au Messie qui devait être de sa descendance. Voilà pourquoi la naissance de Jésus, dans les évangiles de Matthieu et Luc, a lieu à Bethléem.
[3] En hébreu, « beth » signifie « maison » et « lehem », « pain ».
[4] Les Moabites sont des ennemis traditionnels d’Israël. Voir par exemple Nb 22—24 où le roi de Moab s’oppose à Israël. Cela rend la figure de Ruth encore plus remarquable !
[5] Le shéol était le nom donné au du séjour des morts. La possibilité d’une résurrection des morts survient tardivement dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire pas avant l’époque des Maccabées, plus ou moins vers le milieu du 2e siècle avant Jésus Christ. Avant cela – et même après pour certains comme les Sadducéens - on croyait que tous les morts descendaient indifféremment au shéol, un lieu souterrain et obscur où ils étaient réduits à un état apathique bien différent d’une « vie éternelle ».
[6] Territoire de la Terre Promise dévolu, selon la Bible, à la tribu de Juda (Jos 15,1-12). La portée historique du livre de Josué est cependant faible.
[7] La suite du livre montrera comment Ruth s’intègre harmonieusement au peuple élu, y est reconnue comme un modèle de vertu et de foi et devient même l’aïeule de l’illustre roi David.Voir ci-haut la première note explicative.
