(photo © Ordre des frères prêcheurs)
Lart du père Carpentier
Les estampes de Carpentier, un art de synthèse… Art roman? Vitrail? Expressionnisme? Icônes byzantines? Un peu tout cela et bien davantage, ce qui ne laisse pas indifférent.
Il y a quelque chose daustère et de rigoureux dans loeuvre dAlbert Carpentier. Laustérité dune joie contenue et une rigueur largement inspirée par la foi de son auteur comme de sa patiente fréquentation des Écritures.
Mais lun et lautre de ces aspects sont aussi tributaires à la fois du cheminement artistique du père Carpentier et du médium quil privilégie. Sil reconnaît que la matière ne détermine pas lartiste, celui-ci est toujours à la recherche dune matière adaptée à sa vision. Tout peintre et vitrailliste de formation quil soit, cest ainsi que Carpentier en est venu à privilégier lart de lestampe, un art bien japonais ce qui na rien de surprenant chez ce belge flamand devenu japonais par choix.
Mais cet art nest pas sans contraintes. Elles imposent à luvre imprimée des caractéristiques propres facilement repérables. La plus apparente est sans doute cette forte structuration en noir rappelant le plomb des vitraux. Une deuxième est la planéité, comme celle des icônes, puisque les subtilités de perspectives savantes ne sont guerre ici possibles. Enfin mentionnons les aplats de couleurs. Carpentier en tire largement profit et poussera même lexercice jusquà imaginer une technique qui lui est propre.

Le Christ en gloire (détails)
Luvre : le triptyque du Christ en gloire
Il sagit destampes, cest-à-dire dimages imprimées au moyen de planches gravées. Elles sont regroupées en trois unités doù cette appellation de triptyque. La partie centrale est composée dune image faisant 68 x 59,5 cm et a pour sujet un Christ en gloire. Les icônes byzantines et les sculptures ornant les portails des églises romanes le représentent souvent ainsi. Il est assis bien droit tenant dans ses mains un livre. Ses mains esquissent le geste de celui qui montre. Il enseigne et prêche. Carpentier la revêtu dun vêtement ample qui nest pas sans rappeler celui des Frères Prêcheurs, lordre auquel il appartient. Un fond lumineux lentoure. Sa forme a lovale dune amande fréquente en art religieux, cest une mandorle (du latin mandorla : amande). Ici une structure en damier la traverse horizontalement. Son ajout en superposition suggère lesquisse dune croix. Quatre références symboliques complètent lestampe du Christ. Dans la partie supérieure à gauche et à droite, le grand et le petit luminaire, le soleil et la lune tirés du récit de la création. Carpentier introduit ainsi le thème du Christ lumière du monde. En bas à gauche, inspirés des fresques des catacombes de Saint-Calixte, le poisson et la corbeille de pain rappelle leucharistie. Avec lÉcriture sainte elle est lautre voie qui donne de communier au Christ. Enfin à droite la colombe, elle évoque lEsprit Saint.
Entourant le Christ quatre petites estampes complètent la partie centrale du triptyque. Ce sont les évangélistes. Chacun est accompagnés dun symbole rappelant les Quatre Vivants entourant le Christ évoqués dans la vision de lApocalypse (Ap 3,6-8). Ces vivants symbolisaient précisément les quatre évangélistes : un homme ailé (Matthieu), un lion (Marc), un taureau (Luc), un aigle (Jean).
Les deux autres composantes du triptyque réunissent huit estampes faisant chacune 32,5 x 27,5 cm. Elles évoquent autant de moments majeurs de la vie du Christ.
| LAnnonciation (séquences de gauche) La Visitation La Naissance Le Baptême |
La Crucifixion (séquences de droite) La Résurrection LAscension La Pentecôte |
Si la partie centrale du triptyque a un caractère plus statique à la manière des icônes et des sculptures romanes, ces images sont nettement plus dynamiques et mouvementées. Elles donnent de goûter au geste libre de Carpentier qui caractérise à la fois sa production religieuse comme ses oeuvres profanes.

Outils, esquisses, planches et œuvre finale
Une technique originale
Sil ne cache pas ses influences - il parle lui-même de synthèse - sa production destampes par le procédé de la gravure na rien de conventionnel. Insatisfait des contraintes imposées par la lynogravure et la sérigraphie, il imagine ce quil appelle les paper print. Mais comme on dit xylographie pour définir la gravure sur bois, il faudrait peut-être parler de papirographie donnant tout de suite à penser à la matrice et non dabord à luvre imprimée.
Effectivement, ses matrices ne sont ni de cuivre, ni de linoléum, ni de pierre, ni de bois même si par leur rendu ses estampes sy apparentent, mais de papier. Ici logent à la fois loriginalité du corpus principal de son uvre et le secret de son caractère.
Techniquement ses estampes sont tirées de gravures en relief dont le support est un papier Ibori. Encrées en surface à laide dun rouleau ces gravures sur papier sont imprimées à leur tour sur un papier fin. LIbori est un papier japonais dà peine quelques millimètres dépaisseur mais suffisamment rigide. On pourrait parler aussi de carton léger. Carpentier y dessine directement en utilisant un couteau à lame très fine. Ses formes sont découpées dans la matière dont il pèle une ou plusieurs couches bien uniformément ou au contraire, par déchirure, créant alors de lumineux effets de demi-teintes. Le procédé est donc très délicat et nautorise pas de grands tirages. Limpression nécessitant un pressage, de telles matrices de papier ne peuvent en supporter quune cinquantaine.
Sil sagit duvres en noir et blanc, une seule planche est nécessaire. Lorsquil y a de la couleur, les matrices se multiplient en fonction de chacune. Leurs empreintes se superposent par pressage successifs. Une matrice-clé tirée en noir et structurant lensemble de luvre complète alors le tirage. Lensemble des impressions successives est répété pour chaque exemplaire.

Quelques clés de lecture
Il est toujours dangereux de chercher à tout expliquer. Comme lécrit Carpentier : quand la raison a tout dit, que tient-on en main, sinon un papillon mort... Il invite cependant à retenir quelques éléments. Outre la matière dont nous avons parlé puisquelle conditionne le rendu, Carpentier évoque le sujet et de façon particulière le sentiment désirant ardemment que ses uvres en soit lexpression sincère. Il dira volontiers : je suis un expressionniste non par mode mais par nécessité. Et tout cela se traduit par quelques éléments plus facilement repérables au premier abord. Voyons-en quelques uns.
Les cadres étroits. Si lon observe avec attention les petites estampes représentant la Nativité, le Baptême, lAscension et la Pentecôte, on ne peut que remarquer lexiguïté des cadres. Les personnages y sont nettement comprimés. Les cous sont cassés forçant les regards à se tourner vers le haut, vers un ailleurs symbolique. Pourquoi? Ces compressions ne suggèrent-elles pas tout simplement que le mystère est toujours à létroit dans nos efforts de représentation.
Les grands yeux. Tous les personnages de Carpentier ont de grands yeux. Ils semblent nêtre jamais assez grands pour tout voir, pour tout contempler. Ils deviennent comme des fenêtres laissant largement entrer la lumière. Cest ainsi que sillumine et se dilate lespace intérieur.
Les mains. Plus dune fois on a interrogé lartiste sur la signification de toutes ces mains démesurées si présentes dans son uvre. Souvent elles impriment le mouvement dans la composition, mais elles sont bien davantage des indicateurs de convergence. Pour cette raison Carpentier invite à se laisser guider par elles.
Jacques Houle, CSV
